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ANALYSES.tarde. Les lois de l’imitation.

présente sous trois formes principales : dans le monde physique, c’est l’ondulation ; dans le monde organique, c’est l’hérédité ; dans le monde social, c’est l’imitation.

Il s’agit pour chaque science de trouver « son champ de similitudes et de répétitions propres ». C’est ce qu’ont fait les sciences physiques, la chimie, les sciences naturelles ; il existe un champ analogue pour la science sociale. Si cependant les faits sociaux « considérés à travers les historiens et même les sociologistes, nous font l’effet d’un chaos, tandis que les autres, envisagés à travers les physiciens, les chimistes, les physiologistes, laissent l’impression de mondes fort bien rangés, il n’y a pas à en être supris. Ces derniers savants ne nous montrent l’objet de leur science que par le côté des similitudes et des répétitions qui lui sont propres, reléguant dans une ombre prudente le côté des hétérogénéités et des transformations (ou transsubstantiations) correspondantes. Les historiens et les sociologistes, à l’inverse, jettent un voile sur la face monotone et réglée des faits sociaux en tant qu’ils se ressemblent et se répètent, et ne présentent à nos yeux que leur aspect accidenté et intéressant, renouvelé et diversifié à l’infini… C’est comme si un botaniste se croyait tenu à négliger tout ce qui concerne la génération des végétaux d’une même espèce ou d’une même variété, et aussi bien leur croissance et leur nutrition, sorte de génération cellulaire ou de régénération des tissus ; ou bien c’est comme si un physicien dédaignait l’étude des ondulations sonores, lumineuses, calorifiques et de leur mode de propagation à travers les différents milieux, eux-mêmes ondulatoires. Se figure-t-on l’un persuadé que l’objet propre et exclusif de sa science est l’enchaînement des types spécifiques dissemblables, depuis la première algue jusqu’à la dernière orchidée, et la justification profonde de cet enchaînement ; et l’autre convaincu que ses études ont pour but unique de rechercher pour quelle raison il y a précisément les sept modes d’ondulation lumineuse que nous connaissons, ainsi que l’électricité et le magnétisme, et non d’autres espèces de vibrations éthérées ? Questions intéressantes assurément et que le philosophe peut agiter, mais non le savant, car leur solution ne paraît point susceptible de comporter jamais le haut degré de probabilité exigé par ce dernier. »

Bien entendu, si les similitudes constituent le champ de la science, elles ne constituent pas l’ensemble de la réalité. « Toute répétition sociale, organique ou physique, n’importe, c’est-à-dire imitative, héréditaire ou vibratoire (pour nous attacher uniquement aux formes les plus frappantes et les plus typiques de la répétition universelle), procède d’une innovation, comme toute lumière procède d’un foyer ; et ainsi le normal, en tout ordre de connaissance, paraît dériver de l’accidentel. » De tout ce qui précède, il résulte que la science sociale et la philosophie sociale sont des choses distinctes, « que la science sociale doit porter exclusivement, comme toute autre, sur des faits similaires multiples, soigneusement cachés par les historiens, et que les faits