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II

Que valent ordinairement les personnages que nous venons de décrire ? — Le personnage verbal est le reflet de la moralité couramment professée sinon pratiquée de son temps, c’est donc un personnage paré de toutes les vertus, surtout de celles qui sont à la mode. Plein d’honneur sous Louis XIII, janséniste sous Louis XIV, et ennemi des casuistes, sensible sous Louis XV, amoureux des grands principes jusqu’à la mort des autres sous la Révolution, ami de la gloire sous Napoléon, libéral sous la Restauration et Louis-Philippe, il est aujourd’hui tout féru de l’autonomie de sa volonté. Il aime la Révolution et la Science à la fois, il est plein jusqu’aux bords du sentiment de sa dignité, il fait tout découler du respect qu’on lui doit et qu’il se doit. Il dirait volontiers qu’on doit respecter l’homme jusqu’en ses défauts. Il s’étend sur la valeur absolue de la personne humaine, ce qui ne l’empêche pas de parler parfois de races inférieures qui peuvent être légitimement asservies ou violentées par les races supérieures. Courageux, désintéressé, héroïque, le sacrifice lui est familier et il sera toujours prêt à s’indigner contre ceux qui ne consentent pas à s’immoler tout entiers au bien public. Cet homme n’est pas vertueux, il est la vertu même descendue du ciel par sa langue.

Le monde juge de la sorte, mais le moraliste ne peut souscrire à ce jugement. La moralité ne lui paraît pas pouvoir être contradictoire. S’il y a une loi morale, elle doit, comme toutes les lois, être universelle et ne pas changer de formule d’instant à instant. Si le personnage verbal veut représenter la véritable vertu, il faut qu’il consente à ne pas laisser flotter sa parole au hasard des opinions vulgaires, à mettre de l’ordre et de l’homogénéité dans ses discours. Or, cela ne se peut que s’il fait intervenir la logique et la raison, s’il adopte avec toutes ses conséquences un système de morale ou s’il en construit un lui-même. Si vraiment il a la force de n’avoir pas peur de sa pensée, s’il ne craint pas de se trouver blâmant ce que le vulgaire loue, ou louant ce que le vulgaire blâme, il pourra se tromper peut-être, mais sa généreuse entreprise l’aura du moins mis sur la voie unique qui mène à l’homogénéité de la vie et par elle à la vertu. Seul peut être vertueux l’homme dont les paroles, s’accordant entre elles, s’accordent avec tous ses actes et expriment sans alliage le fond intime de la pensée et du caractère.

Les personnages ou rôles divers que notre imagination construit