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g. lechalas. — la géométrie générale

On le voit, Kant prend tel quel ce qu’on pourrait appeler l’espace du sens commun, lui enlève sa réalité et le transforme, sans y rien changer d’ailleurs, en une forme de la sensibilité. Cette forme, dit-il, est a priori, c’est-à-dire antérieure à toute perception et nécessaire. Nous ne voulons point discuter ici la question du nativisme, qui pourrait être tranchée affirmativement sans que le caractère de nécessité fût reconnu pour cela au concept de l’espace ; mais il est indispensable d’envisager cette question de la nécessité. S’il s’agit d’une nécessité purement subjective (et la critique de Kant aboutit finalement là, mais n’est pas toujours suivie jusque-là par ses disciples), nous n’avons rien à objecter, car nous nous reconnaissons incapable de former des images appartenant à un espace non euclidien ; mais pour qui borne le caractère de nécessité à une impossibilité de fait imposée à notre imagination, il n’y a aucune difficulté à admettre que notre sensibilité pourrait être autre qu’elle n’est, et, par suite, que des géométries non euclidiennes sont parfaitement légitimes.

Donc, pour qu’il y ait incompatibilité entre celles-ci et la doctrine criticiste, il faut que cette dernière déclare la forme de notre sensibilité nécessaire d’une nécessité absolue. Or, nous ne connaissons en philosophie aucune assertion qui soit plus gratuite.

Le partisan de l’espace du sens commun, le réaliste naïf ne manque pas de raisons très fortes à son point de vue : la réalité de l’espace est un fait pour lui et, tandis qu’il conçoit fort bien l’anéantissement de toute la matière, son esprit se refuse à admettre celui de l’espace ; celui-ci lui apparaît donc comme un fait nécessaire, et ses propriétés participent naturellement à ce caractère. Tout autre est la position du criticiste. Dominant les vaines apparences, il a transporté en lui-même cet espace qui s’imposait tout à l’heure comme une invincible réalité ; mais alors, semble-t-il, il ne doit plus lui accorder qu’une valeur purement subjective, à moins que sa raison ne lui fournisse des motifs formels de le revêtir d’un caractère supérieur et de déclarer que sa sensibilité ne pouvait absolument pas revêtir une autre forme. Or, nous ne voyons que deux moyens de justifier une assertion si hardie ; il faudrait ou montrer que l’hypothèse contraire conduit à des contradictions ou, à défaut de cette preuve suprême qu’on reconnaît impossible, établir que, en dehors de la

    sions comme dépendant de la loi de l’attraction qu’il déclarait arbitraire. Il arrivait ainsi à concevoir divers espaces possibles, dont la science « serait sans doute la plus haute géométrie qu’un entendement fini puisse concevoir ». (Pensées sur la véritable mesure des forces vives… ; voir l’ouvrage de M. Nolen sur La critique de Kant.)