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point que de principes faux on peut déduire des propositions justes ; mais on croit que d’une longue suite de déductions ne faisant apparaître aucune contradiction on est en droit d’inférer que le point de départ n’en recèle pas. À vrai dire, M. Renouvier est d’accord sur ce point avec nous, puisqu’il croit à l’indémontrabilité des postulats ; il le dit du reste formellement. Mais, après avoir déclaré qu’en rejetant le postulatum d’Euclide on ne rencontre pas la contradiction, il ajoute qu’ « on a certes rencontré le faux qui est beaucoup plus commun que le contradictoire ». Or le faux, en dehors du contradictoire, suppose que la proposition considérée n’est pas autonome, pour ainsi dire, qu’elle doit être conforme à quelque chose d’extérieur, et c’est là qu’éclate la divergence des points de vue.

Pour nous, la géométrie est une science purement rationnelle, qui, comme telle, ne relève que d’elle-même. D’autres peuvent exiger qu’elle soit conforme aux réalités extérieures ou à nos sensations et images, considérées comme de simples faits d’expérience, et alors ils qualifieront justement de fausse une géométrie contraire à ces faits. D’autres, croyant à la réalité du monde extérieur et ne pouvant admettre que l’espace s’anéantirait en même temps que la matière, peuvent attribuer à cet espace, tel que nous le révèlent nos sens, un caractère de nécessité qui a amené plusieurs philosophes à en faire un attribut de Dieu, et alors ils exigeront que la géométrie se modèle exactement sur cet espace nécessaire. D’autres enfin, et ce sont les criticistes, font de cet espace une forme de notre sensibilité et ajoutent que cette forme est a priori. Rien de plus instructif d’ailleurs que la façon dont Kant détermine les caractères de cette forme ; il se borne, sans aucune critique, à reproduire les caractères expérimentaux de l’espace, en y ajoutant cette sorte de nécessité que d’autres attribuent à l’espace objectif : « On ne peut jamais concevoir, dit-il, qu’il n’y ait aucun espace, quoiqu’on puisse fort bien penser qu’aucun objet n’y est contenu… On ne peut se représenter qu’un seul espace ; et, quand on parle de plusieurs espaces, on entend seulement par là les parties d’un seul et même espace… L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée[1]. » Un peu plus loin, il cite, comme exemple du caractère apodictique des propositions géométriques, la proposition suivante : « L’espace n’a que trois dimensions[2]. »

  1. Critique de la raison pure. Esthétique transcendantale, section I, de l’Espace, §  II. Exposition métaphysique de ce concept (traduction Tissot).
  2. Idem, §  III. Exposition transcendantale du concept d’espace. Il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler qu’à l’origine Kant avait professé des doctrines bien différentes. Il regardait les propriétés de l’espace et le nombre de ses dimen-