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g. lechalas. — la géométrie générale

à des relations entre grandeurs, il suffit que les grandeurs de nature spéciale qu’elle concerne soient données comme pure conception, pour que les axiomes communs y soient immédiatement applicables.

Bien que moins nombreux que chez Kant, les jugements synthétiques a priori le sont encore considérablement chez ses successeurs, car leur thèse fondamentale exige qu’aucune partie de la géométrie ne puisse être établie sans qu’on ait recours à un postulat ; nous verrons, dans la seconde partie de cet article, qu’ils attribuent ce nom à des théorèmes parfaitement démontrables et dont un au moins est rigoureusement démontré dans tous les traités de géométrie. Ce que nous voulons examiner en ce moment, ce sont les raisons opposées par le criticisme à la proposition suivante, qui constitue la thèse fondamentale des partisans de la géométrie générale : tout système géométrique qui peut être poursuivi indéfiniment sans qu’on se heurte à une contradiction est rationnellement légitime et ne saurait être écarté qu’en vertu de considérations pratiques, si l’on tient à avoir une géométrie conforme à la réalité.

M. Renouvier n’oppose pas à cette thèse une argumentation bien nette ; mais il est aisé cependant d’en saisir le sens véritable, pour qui se reporte aux principes du criticisme. « Il n’est pas si commun, dit-il, que le croient les personnes qui n’ont pas spécialement étudié la logique de tomber en contradiction avec les hypothèses que l’on a admises, quand on raisonne juste… Les conséquences tirées d’une supposition qu’on a faite peuvent bien se trouver contradictoires avec des principes qu’on a reconnus et qu’on entend garder, auquel cas on juge que la supposition est fausse et doit être abandonnée ; mais ces conséquences peuvent ne point impliquer de telles contradictions, sans qu’on ait le droit de conclure que la supposition est vraie »

Ces premières considérations appellent deux remarques. D’abord nous n’avons jamais supposé qu’on pût arriver à une contradiction en raisonnant juste, si l’on n’avait posé des hypothèses contradictoires ; or c’est précisément ce qu’il s’agit de reconnaître en soumettant ces hypothèses à l’épreuve d’une déduction prolongée[1] On n’ignore

  1. Si l’on veut des exemples de contradictions, introduites inconsciemment dans les bases d’un raisonnement géométrique et apparaissant ensuite dans les conclusions, on peut se reporter à une note sur la géométrie imaginaire, présentée à l’Académie de Lyon, en 1888, par M. Bonnel, professeur de mathématiques au lycée (volume XXIX). Prétendant montrer que la géométrie de Lobatschewsky conduit à des contradictions, l’auteur unit constamment, sous une forme déguisée qui le trompe lui-même, les hypothèses d’Euclide à celles de la géométrie dite imaginaire, et, par suite, la contradiction apparaît bientôt dans les conséquences.