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Cela posé, revenons à la question des jugements synthétiques a priori.

En général, les criticistes ne sont pas portés à dire, comme le fait, par exemple, M. Milhaud, que la géométrie non euclidienne constitue simplement une tentative infructueuse sans importance de démonstration par l’absurde du postulatum[1] ; en fait les criticistes sont bien convaincus que la tentative resterait infructueuse si loin qu’elle fût poussée, et en cela ils sont parfaitement d’accord avec les partisans de la géométrie générale. Cette impossibilité de démontrer les postulats est en effet des plus précieuses pour eux, car elle leur permet de voir dans la géométrie de ces jugements synthétiques a priori dont Kant avait démesurément multiplié le nombre, et qu’ils ont dû singulièrement réduire. Ainsi que le reconnaît M. Rabier[2], les axiomes communs à toutes les sciences mathématiques et énonçant des propriétés communes à des grandeurs quelconques sont purement analytiques et dérivent du principe d’identité ; seuls les axiomes propres à la géométrie revêtent le caractère synthétique, parce que, comme l’a dit M. Renouvier, ils établissent un rapport entre deux catégories différentes. Or les axiomes sont des propositions indémontrables, et, s’il se trouvait que la géométrie n’en comprît pas, les jugements synthétiques a priori seraient par là même exclus des mathématiques.

On affirme d’ailleurs qu’il en existe forcément, la démonstration ne pouvant aller à l’infini ; mais nous ne voyons pas en quoi il est impossible a priori que les axiomes communs soient insuffisants pour servir de base à la déduction géométrique, pourvu qu’on y associe des définitions ; et à ce sujet il faut bien remarquer que les définitions fondamentales ne seront point fondées sur une génération, mais seront purement descriptives, se bornant à énoncer une propriété caractéristique de la figure définie. La légitimité d’une telle définition ne résulte alors que de l’absence de contradiction dans les déductions auxquelles elle sert de base, à moins qu’on ne veuille l’appuyer sur un postulat, ce que nous rejetons absolument[3]. La géométrie étant une science qui se ramène tout entière

  1. La géométrie non euclidienne et la théorie de la connaissance. (Revue philosophique, tome XXV, p. 622.)
  2. Logique, p. 281.
  3. À ce point de vue, une définition ne constitue jamais un postulat, et, dans notre article publié par la Critique philosophique, nous avons eu tort de dire que la définition ordinaire du plan en constitue un, contenant plus de conditions qu’il n’est nécessaire pour déterminer une surface. Il n’y a là en réalité qu’une surabondance qui, du moment qu’elle n’entraîne pas de contradiction, constitue un simple défaut sans grand inconvénient.