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a. binet. — l’inhibition

mouvement, par un autre état se fait à tous les degrés. Elle est déjà nettement accusée lorsqu’une hallucination est fixée sur une photographie réelle ; un grand nombre de traits de la photographie ne sont pas abolis, mais reçoivent une interprétation différente ; la partie sensorielle de la perception est donc en grande partie respectée. L’action d’arrêt est plus nette dans le cas où un état de conscience est entièrement supprimé ; cette suppression est temporaire et oscillante dans les expériences sur la lutte des champs visuels ; elle est au contraire plus permanente dans les suggestions d’anesthésie systématique, où l’objet rendu invisible reste invisible jusqu’à ce que la suggestion soit supprimée.

Nous pouvons admettre, jusqu’à plus ample informé, que ce qui caractérise l’action d’arrêt, au moins au point de vue psychologique, c’est que l’état de conscience suspendu n’est suspendu que par suite de son antagonisme avec un autre état, de sorte que si on supprime cet état réducteur, l’arrêt cesse. Or, c’est là précisément ce qui se passe dans un grand nombre des expériences que nous avons rapportées. Par exemple, dans la concurrence des champs visuels, si le champ de l’œil droit est rendu invisible à un certain moment, c’est par suite de l’action réductrice exercée par l’œil gauche, car il suffit de fermer celui-ci pour que l’action d’arrêt cesse et que le champ de l’œil droit redevienne visible.

Les causes de l’arrêt sont de nature complexe ; nous avons vu que des états de conscience tendent à s’enrayer toutes les fois qu’ils ne peuvent pas faire partie d’une même synthèse ayant une fin commune. C’est ainsi qu’on ne peut pas lire en écoutant une conversation, parce qu’il n’y a point de rapport entre ces deux groupes d’états de conscience ; on peut au contraire lire très facilement une partition au théâtre, et même on entend plus distinctement les paroles chantées quand on les lit, parce que ces états de conscience se groupent dans une même synthèse. Nous avons vu du reste très nettement la fusion des deux synthèses différentes dans les expériences où on fixe une hallucination sur une photographie, et dans les expériences de concurrence entre les deux champs visuels. La vision binoculaire offre aussi un bel exemple de coordination de deux synthèses différentes. Ajoutons que l’antagonisme peut se produire entre des images qui ne sont nullement contradictoires, comme M. Mathias Duval en a publié récemment un exemple intéressant. (Soc. de biol., mai 1890.)

Quand un antagonisme existe entre deux synthèses mentales, chacune peut, suivant les circonstances, enrayer l’autre ; c’est ce que nous montrent très clairement les oscillations des deux champs