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laquelle les personnes expriment cette idée abstraite du relief ; chacun a son langage, qui reflète ses idées ; un peintre auquel j’ai montré la photographie m’a parlé du modelé, qui lui paraît plus net dans la vision monoculaire ; d’autres personnes instruites, des savants, ont tout de suite prononcé les mots de relief et de profondeur ; l’une d’elles a même dit que la perception de ce relief est aussi nette que celle du stéréoscope, et a remarqué à ce sujet que cette expérience a l’avantage de nous procurer un stéréoscope portatif. C’est très juste, et il faut engager dorénavant les personnes à examiner les photographies et les portraits en fermant un œil. Ce qui m’a paru tout à fait curieux, c’est de voir comment s’exprimeraient des personnes sans culture intellectuelle. Leur phrase favorite est : c’est comme si… Ainsi, l’une d’elles dit en examinant avec un œil la photographie de deux enfants se détachant sur un fond de verdure : « C’est comme si les enfants marchaient loin du fond » ; et pendant la vision binoculaire : « C’est comme si les enfants s’appuyaient sur la verdure. » Une autre dit en parlant du terrain qui fuit sous les pieds dans la vision monoculaire : « C’est comme une rivière qui coule et qui s’éloigne. » Une autre encore, parlant de la robe d’un des enfants : « C’est comme si elle était rendue bouffante par un cerceau », etc., etc. Ces comparaisons sont instructives ; les personnes, au lieu d’exprimer l’idée abstraite de la profondeur, supposent un cas concret où cette profondeur se trouve réalisée par la position des objets ou leur forme ; par exemple, au lieu de dire que les deux enfants de la photographie paraissent, dans la vision binoculaire, sur le même plan que le fond de verdure, on dit qu’ils paraissent s’appuyer sur le fond. L’idée abstraite de profondeur se trouve remplacée par un de ses équivalents concrets.

Maintenant, il nous reste à expliquer quelles sont les causes déterminantes du relief dans la vision monoculaire d’une photographie ou d’une lithographie quelconque, enfin d’un dessin plan. Je crois devoir être très réservé dans mon interprétation, et je me contente de soumettre une hypothèse aux personnes compétentes. Il me semble que lorsqu’on regarde une photographie avec les deux yeux, il y a plusieurs signes ordinaires du relief qui disparaissent et qui doivent rendre la photographie plate ; le premier signe qui fait défaut, c’est le degré de convergence des axes oculaires variant avec les distances. Quand on regarde un objet situé à l’infini, les deux axes sont parallèles, et à mesure que l’objet se rapproche, ils deviennent de plus en plus convergents ; quand deux points nécessitent, pour être vus simultanément des deux yeux, des conver-