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a. binet. — l’inhibition

Les choses se passent comme si la figure de M. A. faisait écran et me cachait la figure de M. X., placée derrière.

Je suis persuadé que c’est à la ressemblance des deux personnes qu’est due cette action perturbatrice exercée par le souvenir de l’une sur celui de l’autre ; mais cette ressemblance, qui a fait une grande impression sur moi, n’a pas frappé plusieurs des personnes qui ont connu M. X. et M. A., et que j’ai interrogées à cet égard.

Cependant le souvenir de M. X. n’est pas aboli dans toutes ses parties. J’ai encore présentes à l’esprit plusieurs réflexions que je lui ai entendu faire pendant ses dissections ; je me rappelle la place qu’il occupait, la façon dont il dessinait ; j’entends encore, bien distinctement, sa voix grasseyante, et je ne la confonds nullement avec celle de M. A., qui a un timbre tout différent. Ce qui est aboli dans mon souvenir, c’est l’image visuelle de la figure de M, X., les images auditives et autres subsistent et peuvent être réveillées.

J’ai cru pendant quelque temps que ce souvenir était complètement et définitivement perdu pour moi, d’autant plus que je n’ai plus l’occasion de revoir M. X., tandis que je revois M. A. à peu près deux fois par semaine. Cependant je suis arrivé, après de grands efforts, à recomposer en partie la figure de M. X. Je me suis livré à ce travail pendant la période hypnagogique, où j’ai des visualisations beaucoup plus intenses que pendant la veille complète. L’image manque un peu de netteté, mais elle est bien distincte de celle de M. A. Du reste, elle dure extrêmement peu, et elle est bientôt remplacée par celle de M. A., qui est plus précise, plus écrite et qui dure beaucoup plus longtemps.

J’ai observé chez d’autres personnes plusieurs exemples d’un conflit de souvenirs analogue.

La concurrence des deux champs visuels.

On peut faire rentrer dans notre sujet d’études quelques expériences d’optique physiologique, qui sont connues depuis longtemps, mais auxquelles on n’a peut-être pas toujours donné l’interprétation qui convient. Elles sont désignées sous le nom de concurrence des champs visuels, dans la vision binoculaire ; on voit dans ces expériences certaines sensations d’un œil qui, temporairement, se trouvent éclipsées par les sensations de l’autre œil. Cette action réductrice n’est pas, comme on pourrait le croire, une action purement physiologique ; les opticiens qui ont étudié avec le plus de soin ces phénomènes de concurrence ont remarqué qu’ils sont sous la