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a. binet. — l’inhibition

peau plusieurs fois ; les sensations tactiles éveillent des sensations des autres sens, et une foule d’idées associées, parmi lesquelles se trouve l’idée abstraite du nombre des sensations. Mais, tandis qu’un individu normal aurait conscience de tout cela, l’hystérique n’a conscience que d’une partie seulement de tous ces phénomènes, de la partie terminale, du nombre des excitations ; quant au reste, il demeure subconscient, il forme une synthèse à part, qui, en se développant, peut devenir, à l’occasion, une seconde personnalité. Tous ces faits sont aujourd’hui bien connus, et je crois inutile d’y insister.

Ce qu’il y a d’intéressant à relever, c’est que les parties terminales et conscientes de ces processus inconscients exercent une inhibition sur les pensées volontaires de l’hystérique ; à la suite de cinq piqûres, l’idée du chiffre 5 envahit le champ de conscience du sujet et l’empêche de penser à autre chose ; s’il essaye de penser à un chiffre, il est obligé de penser au chiffre 5, parce que c’est le seul qui occupe son point de fixation interne. C’est un état d’obsession comparable à celui de l’idée fixe.

Je m’imagine que les choses se passent alors dans l’esprit de l’hystérique comme dans la vision ordinaire, quand l’œil est ouvert et immobile ; de même qu’on ne peut pas cesser de voir l’objet qui est sur la ligne du regard, de même, dans la vision mentale, l’hystérique ne peut pas percevoir d’autre idée que celle qui occupe le centre du champ de conscience. Ce n’est peut-être là qu’une comparaison grossière, mais elle me semble bien faire comprendre l’état particulier de l’hystérique.

On peut donner à cette même expérience une forme un peu différente ; pendant que le sujet écrit un mot convenu, si on dessine à son insu, sur sa main insensible, des caractères quelconques avec une pointe mousse, l’écriture a une tendance à reproduire ces caractères, et parfois elle les reproduit malgré la volonté contraire du sujet.

Ce sont bien là des actions d’arrêt, car dès qu’on cesse l’excitation, la première pensée du sujet reprend son cours normal.

En passant, je ferai remarquer que l’expérience précédente nous fait connaître un mode particulier de génération de l’idée fixe. Nous voyons en effet que la personnalité principale de l’hystérique peut subir l’action obsédante d’une idée dont elle ne connaît pas l’origine, et qui provient d’une autre conscience ; or c’est là un phénomène que plusieurs auteurs, et notamment M. Séglas, ont étudié chez les aliénés présentant du dédoublement mental.