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a. binet. — l’inhibition

publié autrefois cette observation sans commentaires dans ma Psychologie du raisonnement ; le fait mérite cependant d’être examiné avec soin, et on ne doit pas se contenter de la comparaison entre le rôle de l’hallucination et celui d’un écran. Quelques expériences m’ont démontré que dans certains cas la photographie est rendue invisible par suite de l’incompatibilité qui existe entre elle et l’hallucination. Ainsi, je donne à un sujet, Lavr…, l’hallucination d’un portrait d’homme sur une feuille blanche où l’on a d’abord dessiné un chapeau, et je prie le sujet de dessiner ce qu’il voit, procédé qui permet d’éviter les suggestions involontaires qu’on commet avec des interrogations. Lavr… voit la tête imaginaire coiffée du chapeau, et reproduit le tout dans son dessin ; ce qui me paraît s’expliquer par la raison que les deux objets ne se contredisent pas, ils peuvent faire partie du même tableau mental ; au contraire, si je donne à cette même personne la suggestion d’un portrait d’homme sur une feuille blanche où j’ai dessiné un animal, le sujet ne voit que l’homme et ne dessine que lui, car, dans ce dernier cas, les deux représentations sont incompatibles, et l’une s’efface pour faire place à l’autre. Ces expériences sont une confirmation directe des idées de M. Paulhan que j’ai indiquées plus haut.

II nous reste à ajouter un détail caractéristique : quand les deux représentations sont incompatibles, le sujet arrive parfois à interpréter dans le sens de l’une des représentations quelques traits empruntés de l’autre. Ainsi, ayant reçu la suggestion qu’une photographie de femme représente une bataille, Lavr… dessine grossièrement les cheveux et l’épaule de la femme, seulement elle les transforme légèrement, et dans son dessin l’épaule devient un monticule. Dans un autre cas, le résultat fut encore plus net. Sur une feuille portant le dessin grossier d’un oiseau je suggère un homme assis ; le sujet dessine l’homme, et une partie de l’oiseau, qui forme la chaise sur laquelle l’homme est assis.

M. Delbœuf a observé le même fait, en procédant par interrogations.

Nous constatons dans ces exemples que le conflit n’éclate pas entre deux images, mais entre deux synthèses d’images, synthèses qui peuvent être plus ou moins importantes, et qui peuvent même constituer chez les hystériques des personnalités complètes. Mais ce n’est pas là le trait le plus intéressant de ces observations. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est la nature toute psychologique de l’antagonisme, qui se produit parce que les représentations ne peuvent pas faire partie de la même synthèse.

De plus, on remarquera que non seulement une des synthèses