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une anesthésie systématique ? S’il est vrai de dire que l’anesthésie a pour condition nécessaire une hallucination, on peut ajouter avec autant d’exactitude, comme du reste plusieurs auteurs, et notamment M. Bernheim, l’ont déjà fait, que l’hallucination a pour effet de produire un certain degré d’anesthésie. Quand une personne croit voir un objet qui est imaginaire, par exemple le portrait d’une personne sur un livre, ce portrait imaginaire peut faire écran comme un corps opaque ; c’est un fait que nous étudierons plus loin. Considérées à ce point de vue, l’hallucination et l’anesthésie systématique méritent d’être rapprochées. On peut dire, sans trop d’inexactitude, que c’est le même phénomène vu sous deux faces différentes. Dans un cas, ce qu’on suggère, c’est l’hallucination, et l’anesthésie se produit consécutivement ; dans le second cas, c’est l’anesthésie, et l’hallucination apparaît à son tour.

Mais ce rapprochement ne doit pas être exagéré, et il ne faut pas oublier que l’attention du sujet n’est pas dirigée dans les deux cas sur le même point, ce qui doit produire des différences importantes.

La suppression des perceptions par des hallucinations.

Étudions maintenant l’autre côté de la question, c’est-à-dire les effets directs d’une hallucination suggérée sur la perception des objets environnants.

Les observations des aliénistes ont montré qu’une hallucination visuelle intense peut cacher les objets situés derrière, et faire écran comme un corps opaque[1]. De plus, les personnes qui peuvent extérioriser une représentation mentale, comme par exemple M. Lombard, dont M. Hack-Tuke a publié récemment l’observation, ces personnes nous apprennent qu’elles ne voient pas les objets extérieurs à travers une bonne image. Ce n’est que lorsque l’image est très faible qu’elle devient transparente[2].

On peut multiplier ces exemples par l’emploi de la suggestion hypnotique, qui a l’avantage de nous faire bien saisir une partie du mécanisme psychologique du phénomène. Lorsqu’on fixe sur une photographie réelle l’hallucination d’un portrait, il arrive le plus souvent que le sujet halluciné ne voit plus le portrait imaginaire ; l’hallucination fait, comme on dit, office de corps opaque. J’ai

  1. Baillarger, des Hallucinations, p. 334 ; Brierre de Boismont, des Hallucinations, p. 594 ; Marinier, Rev. phil., p. 721.
  2. Hack-Tuke, Brain, janvier 1889.