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a. binet. — l’inhibition

plus haut sur les manières différentes de nier. Mais ce n est pas le moment de tenir compte de petites nuances.

Notre hypothèse a trois avantages sérieux : elle explique comment on arrive à la relégation de la perception interdite dans une autre conscience, ce qui est un résultat, je le répète ; elle explique comment il se fait qu’on reconnaisse un objet sans le voir ; enfin elle éclaire autant que possible les faits précédents par la psychologie de la négation.

Il y aurait encore de l’intérêt à remarquer à quel point peut se développer l’hallucination qui supprime la perception réelle, c’est-à-dire l’hallucination du milieu ambiant tel qu’il serait si l’objet qu’on a supprimé par suggestion manquait réellement. Il se produit toute une série d’hallucinations qui sont la conséquence, le développement logique de l’hallucination première qui naît avec la suggestion d’anesthésie. Du moment qu’on commande à un sujet de ne plus voir une personne présente, le sujet se donne l’hallucination de ce qu’il verrait si la personne n’était pas dans la pièce, et ne lui cachait pas les objets situés derrière elle. Voilà le thème initial que le sujet développe, dont il tire les conséquences logiques, toutes les fois qu’on l’oblige à expliquer ce qu’il voit et qu’on essaye de le mettre en contradiction avec la suggestion négative à laquelle il obéit.

C’est là du reste une règle générale qui s’applique aux autres hallucinations. L’hallucination n’est point l’image isolée, unique, à contours fixes, qu’on décrit quelquefois ; c’est une synthèse d’images qui tend à s’accroître et peut, dans certains cas, grossir comme une avalanche, car, par suite de raisonnements inconscients, le sujet développe continuellement les premières images qui ont été suggérées. Aussi lui donne-t-on l’hallucination pure et simple d’un oiseau, non seulement il le voit, mais il l’entend chanter, il le sent palpiter sous sa main, ce qui n’avait pas été suggéré ; bien plus, après le réveil, quand le sujet souvent n’est plus suggestible, on peut développer son hallucination par des moyens très simples, en le provoquant à faire des raisonnemenis inconscients ; pour reprendre le même exemple, si on approche un petit bâton de l’oiseau imaginaire, le sujet le voit se poser dessus ; il le voit ouvrir les ailes quand on soulève le bâton, etc. S’il voit tout cela, c’est qu’en effet tout cela se passerait si l’oiseau était réel ; ce sont autant de conclusions justes tirées d’un faux point de départ. Mais ce qu’il y a de très intéressant, c’est que les conclusions logiques revêtent à leur tour la forme hallucinatoire.

En résumé, quelle différence y a-t-il entre une hallucination et