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d’une collection d’objets tous semblables. Or, il semble bien que cette opération de la reconnaissance doit être antérieure au dédoublement. M. Paulhan, sans insister peut-être suffisamment, a très bien indiqué ce point : « Il faut, dit-il[1], que quelque chose dans le somnambule reconnaisse le fait qu’il ne doit pas percevoir. Ceci nous indique déjà quelque peu comment l’arrêt peut s’effectuer : il se produit au moins en certains cas sur un processus déjà commencé, et ce n’est guère en effet que lorsqu’une impression a commencé à faire sentir son influence que l’esprit peut juger cette influence et la favoriser ou la repousser. »

Ainsi, on peut admettre, comme hypothèse provisoire, que dans certains cas la perception interdite a d’abord en lieu, puis elle a été repoussée ; l’objet a été reconnu, puis rejeté. Cette hypothèse a l’avantage de rapprocher l’expérience hypnotique de ce qui se passe dans une négation, où il y a également un état de conscience qui est enrayé par un état antagoniste.

Ce qui légitime ce rapprochement, c’est que pour produire une anesthésie systématique on emploie la forme de la négation. « Cette personne n’est plus là, dit-on au sujet, en désignant un assistant ; vous ne sentez plus le contact de ma main, vous ne voyez plus ce porte-plume. » Il est donc bien probable que le procédé mental par lequel cette suggestion se réalise doit ressembler beaucoup à celui d’une négation, ou encore mieux à celui de la rectification d’une illusion des sens, sauf que, dans le cas de suggestion, c’est la perception fausse qui détruit la perception vraie.

J’admets donc provisoirement comme très vraisemblable que dans les expériences de suggestion d’anesthésie, la suggestion donne au sujet l’hallucination de ce que serait le milieu ambiant si l’objet supprimé n’existait réellement pas. Quand on lui dit en lui montrant une clef sur une table : Il n’y a pas de clef sur cette table, on lui donne l’hallucination d’une table dont la surface entière est visible ; cette hallucination n’empêche pas la perception et la reconnaissance de la clef de se produire, au moins en partie ; car il faut, avons-nous dit, que le sujet reconnaisse un objet pour ne pas le voir ; c’est le pendant de cette autre proposition qu’il faut se représenter une chose pour la nier. Puis l’hallucination s’incorporant dans la synthèse actuelle d’idées du sujet, en chasse la perception sensorielle de la clef, et la repousse dans une autre synthèse.

Tout cela se fait probablement avec beaucoup de différences d’un sujet à l’autre, et nous pourrions répéter ici ce que nous avions dit

  1. L’activité mentale, p. 233.