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a. binet. — l’inhibition

une petite boule entre l’index et le nnédius croisés, nous avons nettement la sensation de deux boules ; mais sitôt que les yeux sont ouverts, cette sensation s’évanouit ; malgré tous nos efforts de volonté et d’imagination, il nous est impossible de la faire renaître ; elle a été supprimée complètement par la sensation visuelle.

Pourquoi cette suppression ? Sans doute parce que les deux représentations sont contradictoires ; il est de toute nécessité que l’une des deux soit fausse ; on ne peut pas admettre qu’il existe en même temps deux boules et une boule unique.

En d’autres termes, si l’on considère avec M. Paulhan que les éléments psychologiques ont une tendance à se grouper de façon à former des systèmes bien coordonnés, on peut dire que les deux représentations précédentes, ne peuvent pas entrer dans le même système. Mais je n’insiste pas pour le moment sur ce côté du problème.

La suppression d’une perception sensorielle par suggestion.

Je crois pouvoir éclairer par les études précédentes celle de ce curieux phénomène de suggestion auquel on a donné les noms variés d’anesthésie systématique, d’hallucination négative, de perception inconsciente, etc. On connaît le phénomène : il consiste à supprimer par suggestion la perception d’une personne ou d’un objet présents ; le sujet ainsi suggestionné affirme qu’il ne perçoit plus, il n’a plus en tout cas la perception consciente de l’objet. Mais il a été démontré par de nombreuses expériences que l’abolition n’a lieu que pour le moi actuel du patient, et M. Pierre Janet notamment a fait voir qu’en le distrayant ou en recourant à l’écriture automatique on peut retrouver dans une autre conscience la perception abolie. Cette division de la conscience peut servir jusqu’à un certain point à expliquer l’anesthésie systématique ; mais elle n’explique pas tout. Elle n’est en somme que le résultat final. Comment ce résultat a-t-il été atteint ? Comment se fait-il que si je dis à un sujet : « Vous ne verrez pas cette carte ! » la perception interdite passe d’une conscience à l’autre, change de personnalité, quitte la synthèse A pour s’incorporer dans la synthèse B ? D’où vient cette migration ? Est-elle expliquée ? Qui est-ce qui trouve cela clair ?

Ensuite, on peut se demander encore à quel moment la division de conscience se produit. Nous avons observé avec M. Féré depuis longtemps — et peut-être les premiers — qu’il faut que le sujet reconnaisse l’objet invisible pour ne pas le voir, et le fait est surtout évident quand, par suggestion, on supprime un objet faisant partie