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a. espinas. — les origines de la technologie

confiée à des gardiens redoutables, et c’est Zeus seul qui donne aux hommes la pudeur et la justice sans lesquelles il n’y aurait point de cités. On voit ainsi apparaître de très bonne heure — car le commentateur est fidèle à l’esprit des anciens poètes — le principe d’une classification hiérarchique des arts. Déjà même, chez les Gnomiques, une opposition se révèle entre les diverses habiletés et la justice ; une tendance incontestable à faire de la moi’ale une loi hors de pair, transcendante, comme nous dirions, commence à se faire jour dans les fragments de Selon et de Théognis. Mais cette tendance est encore incertaine et un naturalisme plus ou moins implicite fait l’unité de ces curieuses énumérations des arts humains.

Il est vrai, la praxéologie de ce temps méconnaissait le côté dynamique des règles pratiques. Fondée sur l’imitation et la tradition, qui sont pour les consciences ce qu’est l’hérédité pour les organismes, elle niait le mouvement dans le domaine de la technique et en le niant elle l’empêchait de tout son pouvoir, puisqu’elle considérait toute innovation comme une impiété. Mais il était naturel qu’elle insistât avant tout sur la fixité des règles sociales : il n’était pas facile alors de maintenir unies des volontés nombreuses, et le but conscient ou non des législateurs comme de leurs concitoyens devait être de fortifier le lien social en affirmant son éternité. D’ailleurs, en fait, les changements étaient plus rares dans ces sociétés primitives qu’ils ne le sont devenus à l’âge immédiatement postérieur. Dans les civilisations de tous les temps la vitesse des transformations dépend des siècles écoulés et du chemin parcouru. Comme toujours la doctrine reflétait le caractère de la pratique elle-même ; elle lui prêtait, comme cela était nécessaire, une justification et un appui.

Il faut le dire aussi, ces changements quand ils avaient lieu se produisaient souvent inaperçus ; car dans une population sans critique où tout ce qui est admiré est par cela même considéré comme ancien, il était facile aux législateurs et aux prêtres de donner aux innovations le prestige de l’ancienneté. Toute réforme s’abritait derrière une légende. Les croyances immobilistes empêchent moins le progrès qu’elles ne le masquent. Les arts de toute sorte avaient évolué depuis l’organisation des croyances helléniques et poursuivaient leur évolution, peut-être avec la complicité secrète de ces mêmes croyances. L’état religieux n’est pas autre chose que la confusion des trois points de vue scientifique, pratique et esthétique ; pour être mêlées l’une dans l’autre, les trois facultés de l’esprit humain, bien que moins alertes, ne sont pas pour cela entièrement paralysées. La première floraison des cités de l’Ionie et de la Grande Grèce s’est presque