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par lui des arts primitifs, mais il expie cette audace ; Zeus se venge en lui envoyant la femme, source de mille maux. On voit que, somme toute, pour Hésiode, les dons de Prométhée soulagent la misère de l’homme, mais ne sauraient l’en guérir ; l’invention des arts n’a pas changé notre condition ; elle n’a point inauguré comme on pourrait le croire une ère de progrès et d’indépendance. Le poète se met résolument du parti de Zeus contre le Titan et semble admettre déjà que le salut est bien plutôt dans l’observation de la justice, en tant que volonté du souverain céleste, que dans l’exercice des arts, quelque prix’qu’ils aient pour l’homme.

En résumé nous trouvons dès l’origine chez les théologiens une impression de découragement en présence de la puissance insurmontable et des volontés incertaines du souverain des dieux. Cette impression est combattue chez Homère par une certaine confiance dans la bonté des dieux, auteurs des arts et des lois, chez Hésiode par la conviction que la justice triomphe toujours, et que la loi de Jupiter, fléau du méchant, est le sûr appui du juste. Mais voici venir des doctrines plus sombres. Le découragement paraît l’emporter dans la conscience grecque au vie siècle, si l’on en croit les fragments qui nous restent de Solon et de Théognis. L’élégie dont le fragment 13 (4)[1] nous a conservé un long passage est toute pénétrée des enseignements pythiques : Zeus y est représenté comme le vengeur de la morale violée, non comme le rémunérateur de la vertu, et les arts humains, qu’ils viennent ou non d’un dieu, y sont énumérés comme autant de preuves de l’impuissance humaine : il ne reste aux mortels qu’un but tout négatif à poursuivre, éviter la vengeance de Zeus ; le reste est livré aux desseins impénétrables et arbitraires du Destin. « Telle est la vengeance de Jupiter, et sa colère n’est pas passagère comme celle des mortels ; quiconque a le cœur criminel ne peut lui échapper longtemps ; il est bientôt découvert. Celui-ci est puni tout de suite ; cet autre un peu plus tard. Si quelques-uns semblent d’abord échapper à leur destinée, elle finit par les atteindre ; la punition méritée par les pères retombe sur leurs enfants innocents ou sur leurs petits-enfants. Pour nous, mortels, nous pensons ainsi : les bons et les méchants sont traités de même ; chacun a cette opinion jusqu’à ce que la souffrance se fasse sentir ; alors on se lamente, mais jusque-là on est bercé de vaines espérances… Tous s’agitent de différentes façons ; celui-ci risque sa vie en allant sur un frêle esquif à travers la mer agitée par la fureur des vents, chercher des richesses qu’il rapportera dans sa maison ; un autre creuse la

  1. Voir la page 423 des Poetæ lyrici de Bergk (Solon).