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avait pas d’art, puisqu’il n’y avait pas de règles conditionnelles proposées à l’obéissance de l’homme et que le dieu faisait tout ; ici la notion de l’art commence réellement à apparaître avec celle d’un ensemble de règles transmissibles. Les rapports de l’homme et de la divinité changent ; au lieu de subir passivement les décrets de Jupiter ou d’en bénéficier sans effort, l’homme dispose de certaines ressources pour améliorer sa condition et coopère en quelque chose aux bienfaits divins. Mais là s’arrête son pouvoir ; il ne fait pas l’art, il ne pose pas la règle, il n’invente rien de lui-même. C’est ce que maintient Hésiode, bien qu’il accorde encore plus qu’Homère à l’initiative de l’homme.

Cinq races se sont succédé sur la terre ; les premiers hommes « vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, loin du travail et de la douleur ». La race actuelle, la cinquième, est soumise à la douleur, et aussi au travail. La vie est une lutte inégale contre les brutales fantaisies des dieux ; mais, dans cette lutte, l’homme n’est pas entièrement désarmé, on sent manifestement, dans les Travaux et les Jours, un effort énergique pour recueillir dans l’expérience des indications utiles et triompher à force de prévoyance des embûches des éléments. Certes il faut « sacrifier aux dieux, selon son pouvoir, avec un cœur pur et des mains propres » (v. 335), mais il faut compter sur soi, se fabriquer de bons instruments de culture pour ne pas dépendre du bon plaisir d’un prêteur, observer les moments favorables au labour et aux semailles, épargner, épargner toujours et n’avoir qu’un enfant pour devenir riche ; enfin, si on veut naviguer, tenir son bateau sec et attendre le calme. Le grand obstacle, c’est l’injustice ; on a grand’peine à défendre son bien ; il ne fait pas bon de plaider devant les tribunaux des rois, « ces hommes avides, ces mangeurs de présents, dont les sentences perverses violent les lois ». Mais, en fin de compte, la justice l’emporte sur la violence (v. 215). « Car telle est la loi qu’a établie le fils de Saturne ; il permet aux montres de la mer, aux bêtes sauvages, aux oiseaux ravisseurs de se dévorer les uns les autres ; ils n’ont pas la justice. Aux humains il a donné la justice, ce don inestimable. Celui qui la connaît, qui la proclame au milieu de ses concitoyens, reçoit de Jupiter, au regard duquel rien n’échappe, tous les biens de la fortune. Il n’en est pas ainsi du méchant qui porte témoignage contre la vérité et qui ose profaner par des mensonges la sainteté du serment. En blessant la justice, il s’est lui-même blessé à mort ; sa postérité s’efface et disparaît, tandis que le juste, fidèle au serment, laisse derrière lui une race toujours florissante. » (V. 276 et suiv.) L’existence des États repose sur la justice comme le bonheur des individus. « Ceux qui