Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/131

Cette page n’a pas encore été corrigée
121
a. espinas. — les origines de la technologie

milieu de la mêlée meurtrière, elle est là qui leur distribue à son gré la victoire et la renommée. Dans les jugements, elle s’assied auprès des rois, sur leur auguste tribunal. C’est elle qui préside aux jeux de la lice, et le mortel qu’elle favorise, vainqueur de ses rivaux par la force et le courage, emporte sans peine le prix du combat et, le cœur plein de joie, couronne de sa gloire ceux qui l’ont fait naître. C’est elle qui préside aux courses de char, aux travaux de la mer orageuse. Les matelots l’invoquent ainsi que le dieu qui ébranle à grand bruit la terre. Elle peut à sa volonté envoyer au chasseur une riche proie ou la lui ravir. C’est elle encore qui dans les étables préside avec Hermès à la prospérité des troupeaux ; par elle, par sa volonté, se multiplient ou dépérissent et les bœufs, et les chèvres, et les brebis à l’épaisse toison. Le fils de Chronos confia en outre à ses soins les premières années de tous les hommes qui après elle ouvriraient les yeux à la lumière de l’éclatante Aurore ; elle dut être dès l’origine leur nourrice et leur mère. Voilà les glorieuses fonctions qui lui furent départies. » Ainsi les hommes favorisés par cette déesse n’ont besoin, pour réussir et pour être relevés, dans les choses qui sont de son domaine, de leur infortune native, ni de science, ni de mémoire, ni d’effort ; elle agit seule à son gré, sans la coopération de ses favoris, comme une force de la nature. Semblable au Destin, auquel est soumise même la volonté de Jupiter, elle en a l’irresponsabilité, l’impassibilité, l’irrésistibililé[1].

Mais une autre conception commence à se faire jour dans les poèmes homériques, se confirme chez Hésiode et trouve enfin, plusieurs siècles après, dans Eschyle, sa complète expression.

Les rois qui siègent dans les tribunaux ne sont que les gardiens des lois qui viennent de Zeus, lisons-nous au premier chant de l’Iliade (v. 238). Cette initiation n’est pas la seule que les hommes aient reçue des dieux. Vulcain, l’inventeur, et Minerve, la patronne des villes, donnent aux artisans toute sorte d’arts[2] (Od., vi, 232), et sous leur inspiration « ceux-ci exécutent des œuvres gracieuses ». La Muse confère aux poètes qu’elle aime la connaissance du bien et du mal. (Od., viii, 63.) C’est elle qui leur enseigne leur art (viii, 481), quand ce n’est pas Apollon lui-même (488). Les dissimulateurs, eux aussi, ont un maître dans Mercure (xix, 396).

Cette donnée nouvelle ne laisse plus l’art confondu avec la force productive ; elle l’en distingue, ou plutôt avant ce point de vue, il n’y

  1. Le fragment ci-dessus, considéré par quelques critiques comme une intercalation d’origine orphique, est défendu par d’autres critiques non moins autorisés. (Decharne, Mythol., p. 134.)
  2. τέχνην παντοίην. Cf. Platon, Protagoras, 321, d. e.