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traindre Cérès à pousser dans un champ d’abondants épis ; non seulement elle n’est point l’art de l’agriculture, mais elle distribue ses largesses en dépit de l’art, à qui il lui plaît. Le plus habile archer manque le but si un dieu lèvent ; si un dieu le veut, rien ne peut empêcher le trait de frapper la victime désignée. Sans le secoure d’Apollon, il est même impossible de bander l’arc (Od., xxi, xxii). Si cette doctrine eût été la seule adoptée par Homère, l’omnipotence et l’arbitraire divins ne laisseraient dans le monde aucune place à l’initiative de l’homme.

Il en est de même chez Hésiode. Les hommes sont plongés selon lui dans une détresse profonde. « Mille fléaux divers parcourent la demeure des mortels ; la terre regorge de maux ; la mer en est remplie ; les maladies viennent d’elles-mêmes nous visiter et le jour, la nuit nous apportent la douleur ; elles viennent en silence, car le prudent Jupiter leur a ôté la voix[1]. » Quelques biens sont mêlés à ces maux[2], mais ce sont les dieux qui les envoient. Ce sont eux qui disposent, en fin de compte, des uns et des autres. Pour préserver l’intégrité de leur pouvoir, ils ont eu soin de cacher aux hommes les moyens d’améliorer leur vie par eux-mêmes. Κρύψαντες γὰρ ἔχουσι θεοὶ βίον ἀνθρώποισι[3]. Des raisons qui déterminent ces puissances sans contrôle à favoriser ceux-ci plutôt que ceux-là, il ne faut pas s’en enquérir ; il n’y en a pas. Des voies et des conditions par lesquelles ils réalisent leurs effets propres, il n’en faut pas chercher davantage ; ils agissent sans motif et sans règle, comme l’océan, comme le feu, comme le vent. Les desseins de Jupiter varient, et il est difficile de les pénétrer[4].

Voici quelles sont, d’après la Théogonie (v. 441), les attributions d’Hécate. « Pour être seule de sa race (de la race des dieux antérieurs à Zeus) ses honneurs n’en sont pas moindres sur la terre, sur la mer et dans le ciel ; au contraire, ils se sont accrus, parce que Zeus l’honore. Quelqu’un parmi les humains offre-t-il selon les rites sacrés un sacrifice expiatoire, c’est Hécate qu’il invoque ; à celui-là viennent aussitôt la grandeur et la fortune dont la puissante Hécate reçoit favorablement les prières. Elle peut comme elle le veut prêter son aide puissante aux humains. À son gré elle leur accorde l’empire dans les assemblées des peuples ; lorsqu’ils se précipitent au

  1. Op. et D., 101. Traduction Patin, Annuaire de l’Association des études grecques, 1872-73.
  2. Ἐν τοῖς γὰρ τέλος ἐστιν ὀμῶς ἀγαθῶντε κακῶντε. Ils sont souvent appelés δωτῆρες ἐάων, auteurs de tous biens. (Op. et D., 665.)
  3. Op. et D., v. 42.
  4. Op. et D., v. 483.