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point présidé à ce nouveau travail, bien que plus complexe que les précédents et supposant un degré plus élevé de réflexion de l’esprit sur son œuvre. Cette première synthèse de la vie et de l’action, au lieu de se présenter comme une doctrine expresse, s’est développée dans l’esprit des Grecs primitifs lentement, à leur insu, sous la forme de dogmes et de légendes. Elle a été une phase de l’évolution religieuse. Ce sont des poètes : Homère, Hésiode, Eschyle ou d’anciennes traditions, qui nous la révèlent ; c’est dans des livres qui ont été pour le monde hellénique un peu ce qu’est la Bible pour le monde chrétien que nous la trouvons.

Elle n’exclut pas cependant la réflexion. Cette conception est à la fois philosophique et religieuse. Les religions antérieures ne s’étaient pas élevées jusque-là. Elles sont des techniques, puisqu’elles enseignent l’art de vivre et de mourir, et fournissent les règles souveraines de la conduite. Elles ne renferment pas les éléments d’une technologie. Il n’y a — du moins nous n’avons découvert — ni dans la religion égyptienne, ni dans la religion védique aucune vue générale sur l’action qui puisse servir d’introduction à l’histoire que nous tentons d’écrire[1]. Au contraire, d’Homère à Eschyle, on assiste au développement continu d’une même conception qui, sous des formes mythiques, est l’antécédent direct des systèmes de l’âge philosophique et domine déjà sous une vue d’ensemble les différents groupes de règles pratiques imposées par la religion même[2].

  1. Le recueil des lois de Manou, bien que relativement récent, passe pour l’organe d’une tradition fort ancienne. On y trouve nettement exprimée l’idée d’une distribution des fonctions sociales faite par Brahma aux différentes castes qui émanent de lui et l’ensemble des lois est révélé, enseigné par Brahma. (Lois de Manou, I, 31, 87 et I, 57.) Nous devons cette indication à l’obligeance de M. Henry. Les mythes chaldéens présentent la même conception, le dieu poisson Oannès a enseigné aux hommes dès l’origine du monde « tout ce qui sert à l’adoucissement de la vie ». Cette tradition nous est parvenue par le témoignage de Bérose, du ive siècle avant notre ère. (Babelon, Manuel d’archéologie orienlale. p. 10.)
  2. « La race grecque, par la situation de la contrée où elle apparaît, se trouve donc ainsi rapprochée des empires d’Égypte, d’Assyrie et de Médie, maîtres des côtes de la Méditerranée orientale ; en même temps le caractère péninsulaire et insulaire de presque toute la région qu’elle habite, ainsi que le nombre considérable de ses colonies attachées à tous les rivages comme autant de navires à l’ancre, voilà des conditions qui modifient singulièrement pour elle la surface de contact, qui rendent cette surface bien plus étendue. Pour la Grèce ce n’est pas seulement sur une frontière que peut se faire, comme pour tel autre peuple, l’échange des idées et des procédés ; étant presque partout ile ou côte, elle est partout frontière, partout ouverte, partout sensible à l’influence de l’étranger. » (Perrot, Hist. de l’art dans l’antiquité. Introduction, xl, xli.) C’est là la véritable cause de ce fait que la technologie naît chez les Grecs et non ailleurs. Par sa situation, par la date de son entrée en scène, la race grecque a pu recueillir les résultats de la lente élaboration technique de plusieurs civilisations