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a. espinas. — les origines de la technologie

I. — La Technologie physico-théologique[1].

Qu’on veuille bien songer un instant à l’immense effort qu’a exigé la première conception synthétique du travail humain dans son ensemble. Il a fallu d’abord que les catégories essentielles de l’action — désirer, redouter, commencer, finir, essayer, réussir, échouer, etc. — fussent fondées et exprimées par le langage. L’avenir, champ de l’action, objet de l’aversion et du désir, d’abord extrêmement restreint, avait dû ouvrir peu à peu à la prévision humaine des perspectives plus étendues, ce qui ne pouvait se faire sans une mesure approximative du temps. Les divers modes élémentaires de l’action, opérations musculaires comme prendre, jeter, rompre, percer, frapper et relations morales comme aimer et haïr, menacer, défendre, punir, avaient dû être distingués et nommés un à un, puis ramenés progressivement à des formes générales. En même temps, les diverses combinaisons concrètes, destinées à la satisfaction des besoins élémentaires de l’homme, où les opérations et déterminations relatées ci-dessus entrent comme éléments, comme par exemple allumer le feu, cuire l’aliment, coudre un vêtement, prendre femme, bâtir une maison, avaient été nécessairement mises à part et classées. Rapportées ensuite aux fins principales de la vie humaine, ces diverses combinaisons d’actes avaient formé à leur tour par leur réunion et leur classement, des arts, c’est-à-dire des groupes de règles variées ayant chacun un objet défini d’ordre général, comme l’agriculture, la construction, la guerre. Enfin il avait fallu que l’ensemble des arts fût subordonné à l’idée totale de la destinée humaine, qui suppose de son côté quelque idée de l’ensemble des choses. À voir la complexité de cette œuvre, on ne sera pas surpris qu’elle ait demandé un long temps pour être seulement ébauchée.

Mais ces opérations multiples n’ont pas été accomplies selon l’ordre méthodique où nous venons de les décrire ; tout s’est passé sinon au hasard, du moins confusément et sans règle apparente comme dans les travaux des fourmis et des abeilles. La naissance des arts primitifs a eu lieu dans un état d’inconscience moins profond que l’établissement des modes élémentaires d’action ; le dénombrement et la désignation, puis l’explication générale de ces mêmes arts ont eu lieu dans un état d’inconscience moins profond que leur naissance : il n’en est pas moins vrai qu’une analyse méthodique n’a

  1. Pour la clarté de l’exposition, nous commençons cette fois exceptionnellement par les doctrines.