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pour la société que ce pessimisme énervant qui fait, à l’heure qu’il est, tant de ravages parmi nous, et qui menace de tarir, au sein de notre race, de tout temps si vaillante et si chevaleresque, la source des belles espérances et celles des nobles actions ». Condorcet, malgré ses erreurs, qui furent celles de son temps, est encore un excellent antidote contre Schopenhauer. Quant à Volney, M. Ferraz trouve ses idées sur la philosophie de l’histoire étroites et erronées : « s’imaginer, par exemple, que les religions ont été inventées par réflexion et par calcul, en vue de soutirer de l’argent au prochain, c’est s’en faire une idée singulièrement plate et singulièrement prosaïque ». Pourtant Volney eut comme la plupart des hommes de son temps, comme Condorcet, deux grandes passions, celle de la vérité et celle de la liberté, bien qu’en politique il ramène tout à l’amour de soi, et en morale au principe de la conservation personnelle. M. Ferraz déclare que « sa morale est le renversement de toute morale digne de ce nom » bien que supérieure à celle d’Helvétius qui divinise la passion, tandis que Volney préconise l’intérêt bien entendu. Saint-Lambert est jugé tout aussi sévèrement : dans son Catéchisme universel, il prêche aussi la morale de l’intérêt personnel ; « mais, à la manière dont il motive ses préceptes moraux, on serait tenté de croire qu’il n’a aucune idée de la vraie moralité. Il n’a pas l’air de se douter que ce n’est pas par elle-même et par ses résultats extérieurs, mais par les motifs intérieurs qui la déterminent, qu’une action se caractérise et se qualifie ». Un voit que c’est le critérium kantien de la bonne volonté qui est pour M. Ferraz la norme et la règle d’après laquelle il apprécie les systèmes de morale ; voilà pourquoi il les juge si sévèrement, en vrai stoïcien dont les thèses sont absolues et radicales. « Le sensualisme, prononce M. Ferraz, a toujours été peu favorable non seulement à la vie morale mais encore à la vie religieuse. » Il le prouve par l’Esquisse de Condorcet, par les Ruines de Volney et surtout par ce Naigeon, le singe de Diderot, que J.-M. Chénier, impatienté par son fanatisme, avait surnommé l’athée inquisiteur. Le nom de Naigeon appelle naturellement celui de Sylvain Maréchal, l’auteur de Dictionnaire des athées, et celui du Lyonnais de Salles, qui écrivit un Mémoire en faveur de Dieu. Toutes ces élucubrations manquent de portée philosophique. On sait gré à M. Ferraz de nous dispenser, par ses belles analyses, de lire les originaux : son histoire est à la fois une exhumation et une résurrection. Les commentaires mêmes de Tracy sur Montesquieu sont peu dignes de leur auteur et nous les passerons sous silence, aimant mieux terminer l’analyse de cette seconde partie par cette page où M. Ferraz explique très bien comment l’idéologie avait groupé tant d’esprits différents et rallié les médecins comme Bichat et Pinel, les chimistes comme Lavoisier, les mathématiciens comme Lalande et Laplace, bref, presque toutes les têtes pensantes ; « L’idéologie, se donnant elle-même, par l’organe de son fondateur, pour la préface de la grammaire, de l’économie politique et de la législation, et pour une