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ANALYSES.m. ferraz. La philosophie pendant la Révolution.

semble forcer un peu le sens et la portée. En tout cas, son sommeil matérialiste eût été bien court et bien vite renié, puisqu’il n’aurait laissé de traces que dans un manuscrit aussitôt rectifié qu’écrit.

Nous ne suivrons pas l’auteur dans son étude sur Cabanis : on n’analyse pas ces fines et délicates analyses, mais on connaît mieux Cabanis après la lecture des pages si exactes et si complètes que lui consacre M. Ferraz qu’après la lecture de son livre même. Si l’on devait adresser un reproche à cette brillante étude, ce serait de trop insister sur les « erreurs » de Cabanis. L’historien, non content de raconter avec élégance et d’analyser avec profondeur, réfute et dogmatise. C’est un beau défaut qui pour beaucoup est une qualité, mais il y a des lecteurs qui aiment à faire eux-mêmes le départ de l’erreur et de la vérité. Cabanis qui a découvert le monde des faits inconscients et des impressions intérieures, mérite qu’on ne soit pas trop sévère pour quelques formules paradoxales échappées de sa plume et dont il a lui-même atténué la portée matérialiste dans sa Lettre sur les causes premières, où il professe une sorte d’animisme universel, proche parent du monisme contemporain. La première partie de l’ouvrage se termine par une étude sur Rivarol à la fois littéraire et philosophique du plus vif intérêt : distinction entre la passivité (de la mémoire) et l’activité (de l’imagination), défense ingénieuse de la liberté humaine et de notre supériorité sur l’animal dont l’esprit est « simple et rectiligne », tandis que le nôtre est « complexe et réfléchi » ; telles sont les thèses essentielles que M. Ferraz relève chez Rivarol qu’il compare en ces termes à Biran : « Le premier exprime, dans un langage pénible et même obscur, des idées originales et fortement coordonnées en système ; le second rend dans une langue souvent admirable des vues moins neuves et moins bien enchaînées. L’un crée surtout des pensées, l’autre des formes de style ; l’un possède surtout le don de la conception, l’autre celui de l’expression ». Signalons enfin dans le chapitre consacré à de Gérando l’analyse d’un ouvrage sur l’Art d’observer les peuples sauvages qui prouve que la psychologie comparée ne date pas d’hier et ne nous vient pas d’Angleterre.

L’Idéologie appliquée comprend les vues de Condorcet et de Volney sur la philosophie de l’histoire, celles de Volney et de Saint-Lambert sur la morale, enfin les débats sur la politique et sur la religion. L’Esquisse d’un tableau des progrès de l’espèce humaine est au fond une théorie de la perfectibilité indéfinie de l’espèce humaine : elle soulève donc trois questions essentielles : une question de fait, celle de l’hérédité des qualités physiques et des aptitudes intellectuelles ; une question métaphysique, celle de la raison et du libre arbitre, et une question sociale, celle de l’organisation des forces sociales. On ne sera pas étonné si M. Ferraz trouve que sur ces trois points les vues de Condorcet sont souvent insuffisantes ou chimériques et son optimisme « un peu naïf » ; mais on louera sans réserve ses conclusions : Cet optimisme « est encore moins éloigné de la vérité et moins dangereux