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de la psychologie physiologique. Tracy doit encore être lu pour la netteté et la précision de sa pensée et de son style. On trouvera dans ses œuvres admirablement analysées par M. Ferraz force remarques ingénieuses et une grande abondance de vérités de détails, mais c’est à Cabanis, nullement à Tracy, que se rattache le mouvement psychologique contemporain. Entre un double positivisme anticipé, l’un tout physiologique, celui de Cabanis, Tautre tout psychologique et spiritualiste celui de Biran, les analyses si Unes et si déliées de Tracy semblent flotter en l’air comme des fils de la Vierge. Mais il possède le vernis des maîtres, la netteté.

S’il est le maître incontesté de Biran, c’est un maître paradoxal, qui n’avoue pas son disciple et méconnaît son propre enseignement. M. Ferraz nous initie clairement à ces débats sur des pointes d’aiguille et pourtant de si grande portée : Tracy découvre le mouvement spontané et lui attribue la vertu de nous révéler le monde extérieur ; Biran fait un pas de plus et rattache le mouvement à l’effort au lieu de le caractériser par des qualités extrinsèques et en énumérant les points occupés successivement par le mobile. C’est toute une révolution, car c’est l’être substitué au paraître et la conscience ajoutée à la science. M. Ferraz, qui veut bien nous citer à propos de cette importante querelle de famille idéologique (p. 36), annonce que l’on doit « prochainement publier » cette correspondance. On ne demanderait pas mieux, mais quis leget hæc ?

Biran ne figure dans ce volume que par ses rapports avec Tracy et pour son mémoire sur l’Habitude : le fond même de sa philosophie a été étudié par M. Ferraz dans l’ouvrage intitulé Spiritualisme et Libéralisme. Les conclusions de l’auteur sont assez différentes de celles à M. Picavet qui incline à voir dans ce mémoire et surtout dans le manuscrit qui en est l’ébauche et qu’il a eu le bonheur de découvrir à l’Institut, des tendances sensualistes et matérialistes : « Sur plus d’un point, dit M. Ferraz, l’auteur s’éloigne déjà du sensualisme pour se rapprocher du spiritualisme… Le mémoire de Biran n’est pas aussi différent de ceux qui l’ont suivi que V. Cousin le donne à entendre. Leur est-il bien inférieur ? Nous ne le croyons pas. » Et l’historien le démontre en relevant les principales thèses anticondillaciennes qu’il contient, principalement « la thèse si neuve de la vraie origine de l’idée de cause ». Néanmoins M. Ferraz laisse sans solution la question posée par M. Picavet et résolue par lui affirmativement : Biran a-t-il traversé une phase nettement matérialiste ? D’après un discours inédit sur l’Homme qui m’a été communiqué au nom de Mme Savy de Biran et dont la date est certainement 1794, à une année près, il me semble que M. Picavet a été trop affirmatif dans ses conclusions : Biran est femme ; s’il varie dans l’expression de sa pensée et s’il songe trop aux juges qui couronneront son mémoire, il ne varie guère dans les manifestations de ses tendances ; c’est un spiritualiste de sentiment, d’inclination, en dépit de quelques formules équivoques dont M. Picavet me