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nier en 1677 (1re édit.) et en 1684 (2e édit.). C’était une lecture de six gros volumes in-folio, bien que M. T., s’en tenant à la philosophie de son auteur, ait surtout étudié les deux premiers seulement. Après quelques pages où il rappelle les polémiques de Gassendi contre les nouveaux aristotéliciens (1624), contre Fludd (1630), théosophe anglais qu’avait aussi combattu Bacon, enfin contre Descartes (1641-1644), il passe en revue successivement la Logique, la Physique et la Morale. De ces trois parties, la Logique est de beaucoup la plus courte. Mais la Physique est longuement traitée, et comprend une série de chapitres sur l’espace et le temps, sur la matière, le mouvement, les qualités des corps, la génération et la vie, l’âme ou plutôt l’animation du monde ; — puis, sur la sensibilité, l’imagination, l’âme raisonnable, l’origine des idées, l’appétit, la volonté et la liberté, la force motrice et le langage ; — enfin sur l’âme en elle-même, et l’immortalité. La dernière partie se compose de trois chapitres sur le souverain bien, la vertu et sur Dieu. La conclusion explique surtout en quel sens Gassendi est éclectique et sceptique, car on a pu lui donner ces deux noms.

M. T. sans doute n’a pas voulu seulement refaire ce qui avait été si bien fait déjà par Bernier, un résumé ou abrégé de la philosophie de Gassendi. Il propose quelques amendements à l’interprétation du premier abréviateur, il cite et traduit nombre de textes très intéressants sur lesquels celui-ci n’avait pas toujours insisté. On pouvait cependant donner plus d’intérêt encore à cette restauration d’une doctrine déjà ancienne, en montrant la place qu’elle occupe dans l’histoire de philosophie. Nous voyons mieux aujourd’hui, ce semble, à deux siècles et demi de distance, ce qui l’entoure d’abord, et ce qui la précède et la prépare.

Je dirai peu de chose de la Logique, sinon qu’elle aurait gagné à être rapprochée d’un petit ouvrage contemporain, la Logique du prince (1655), par La Mothe Le Vayer, un ami de Gassendi. Quelques mots de plus sur celle de Clauberg (1654), sur celle d’Arnauld et de Nicole (1662), n’auraient pas été non plus inutiles, surtout à propos de la méthode, devenue enfin depuis Ramus une partie de la logique, et même la plus importante selon Port-Royal, bien qu’on la fit encore consister presque entièrement dans l’étude de l’analyse et de la synthèse : les philosophes ne feront bien la théorie des méthodes scientifiques qu’après que celles-ci auront été pendant deux à trois siècles élaborées par les savants, et mises à l’épreuve d’une longue pratique. Et on peut s’étonner, à ce propos, que Gassendi, savant et philosophe, qui en outre admirait fort Bacon, ne dise rien de l’induction baconienne, et ne mentionne que le vieux procédé d’Aristote, si imparfait et si fautif, comme lui-même le reconnaît.

J’arrive à la Physique. À propos de l’espace, M. T. a bien montré la position que Gassendi prenait à égale distance des aristotéliciens et de Descartes pour les uns, toutes choses n’étant que substance ou qualité et accident, l’espace, qui n’est pas une substance, ne peut être