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C’est qu’en effet, et c’est là un des reproches qui pourraient être faits à ce livre, le style laisse parfois à désirer au point de vue de la clarté ; il est souvent diffus et incorrect ; et cependant, de place en place, des phrases claires et concises, des pensées justement exprimées viennent prouver que l’auteur sait, quand il le veut, arriver à la netteté et à la précision.

J’ai laissé de côté, dans cette analyse, un certain nombre de points qui prêteraient matière à discussion et sur lesquels j’aurais à faire des réserves, spécialement au point de vue physiologique ; telle est par exemple la question des sensations centrifuges ou sensations à l’inverse, comme les appelle M. Liébeault. Mais cette discussion nous entraînerait beaucoup trop loin.

Un lecteur superficiel pourrait aussi reprocher à l’auteur la confusion continuelle qui semble exister dans son livre entre le sommeil naturel et le sommeil artificiel ; dans chaque chapitre, en effet, il passe de l’un à l’autre, mélangeant indistinctement les faits, les théories, les interprétations qui appartiennent à chacun de ces deux états ; mais il ne faut pas oublier que cette confusion apparente est voulue et préméditée et n’est que la conséquence des idées de M. Liébeault sur l’identité des deux états.

Un autre reproche qu’on serait tenté de faire à cet ouvrage, c’est de manquer un peu d’actualité. Il s’est fait dans ces dernières années une évolution remarquable dans les questions d’hypnotisme et de suggestion. Des faits nouveaux ont surgi, les questions anciennes ont pris une face nouvelle. On désirerait savoir ce que pense un homme de l’autorité et de l’expérience de M. Liébeault sur les questions du rapport, du somnambulisme à distance, de la suggestion mentale, etc. À cela, M. Liébeault pourrait répondre avec raison que ces faits sont encore à l’étude et qu’aucune interprétation n’en est possible dans l’état actuel de la science. Il pourrait surtout rappeler ce qu’il dit dans sa préface, c’est que son livre est en réalité une réimpression plutôt qu’une nouvelle édition et qu’il y a touché le moins possible, afin de lui conserver son originalité. C’est, en effet, avant tout un document historique, document de la plus grande valeur.

Ce livre n’ira jamais à la foule, car il demande à être plutôt médité que lu. Il sera surtout apprécié par ceux qui connaissent personnellement l’auteur et savent ce qu’il y a en lui de conviction profonde alliée au désintéressement le plus absolu ; ils savent que ses convictions sont basées sur de longues et laborieuses réflexions et qu’il leur a tout sacrifié ; ils savent que ce livre est l’œuvre d’un homme qui se recommande à la fois par l’indépendance de la pensée et l’indépendance du caractère. Les deux sont rares en tout temps, la dernière surtout.

H. Beaunis.