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société de psychologie physiologique

bras droit est le bras que nous pouvons le plus facilement nous représenter en mouvement. Nous apprécions la différence d’une représentation, tandis que M… apprécie seulement la différence d’un mouvement réel. Cette hypothèse, toute plausible qu’elle soit, ne me satisfait pas entièrement, car pour essayer, pour comparer les représentations de nos deux bras mis en mouvement, il faut déjà que les représentations de ces bras se distinguent par quelque chose.

Il faut donc supposer en second lieu qu’il a une sensation particulière qui distingue les deux côtés. « Nous distinguons nous-mêmes notre droite de notre gauche par un sentiment naturel, et ces deux déterminations de notre propre étendue nous présentent bien alors une différence de qualité ; c’est même pourquoi nous échouons à la définir[1]. » Je préciserai en rappelant les théories de Wundt sur les signes locaux, ces différentes nuances de la sensation qui varient suivant les régions du corps. « Nous sommes donc amenés à admettre une coloration locale des sensations tactiles, coloration qui se modifie continuellement sur toute la surface cutanée. » Wundt va même plus loin et exprime certaines théories qui semblent s’appliquer par avance exactement au cas que nous décrivons : « Il faudra admettre, dit-il, que dans les régions symétriques des deux parties du corps les signes locaux sont très analogues, sinon identiques ;… néanmoins, d’après les distinctions réelles que nous pouvons faire, et d’après les différences de structure qui se présentent malgré une analogie si grande, nous concluons que les signes locaux ont une certaine différence dans les parties symétriques et analogues[2]. » En un mot, Wundt pense que les signes locaux varient plus dans le sens de la hauteur que dans le sens latéral, qu’il y a plus de différence entre un signe local du bras et un signe local de la jambe qu’entre les signes locaux des deux bras. Eh bien, cette supposition que l’auteur fait un peu a priori, est-ce que notre observation ne la confirme pas entièrement ? Nous voyons que la précision de la localisation croît chez notre malade avec le degré de la sensibilité ; parvenue à un certain degré, elle sent assez bien pour distinguer les signes locaux de son bras et de sa jambe, mais pas assez pour distinguer les signes locaux plus délicats de son bras droit et de son bras gauche. Cette supposition évidemment est plus exacte que la précédente et doit la compléter.

J’ajouterai cependant encore une remarque qui me paraît importante : la méthode scientifique nous recommande, quand nous constatons un phénomène anormal, de rechercher s’il n’y a pas aux alentours une autre modification parallèle. Eh bien, je constate dans la conscience de cette femme une modification grave ; elle présente au suprême degré le caractère que j’ai indiqué ailleurs comme étant la tare essentielle des hystériques, le rétrécissement du champ de la conscience. Elle n’est

  1. Bergson, Données immédiates de la conscience, 1889, 73.
  2. Wundt, Psychologie physiologique, II, 29.