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SOCIÉTÉ DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE


UNE ALTÉRATION DE LA FACULTÉ DE LOCALISER LES SENSATIONS[1]


Messieurs, je voudrais vous exposer en peu de mots une observation que j’ai eu l’occasion de faire récemment sur une forme assez particulière de l’anesthésie hystérique ou plutôt sur une altération de la localisation des sensations.

Il s’agit d’une jeune fille, M…, âgée de vingt-deux ans, qui a déjà été étudiée plusieurs fois par mon frère, le Dr Jules Janet, et sur laquelle j’ai moi-même publié déjà quelques remarques. Elle est fort gravement malade, atteinte, depuis plusieurs années, d’anorexie hystérique ; ce n’est qu’avec beaucoup de peine que l’on peut réussir à la nourrir d’une manière toujours insuffisante et l’on sait, suivant la remarque de M. Paul Richer, que c’est dans cette catégorie d’hystériques que se rencontrent le plus fréquemment les troubles psychologiques graves.

Ayant dernièrement l’occasion de m’occuper encore d’elle, je cherchais à déterminer avant tout, comme il faut toujours le faire dans les études de psychologie expérimentale, l’état exact de ses sensations et de ses mouvements. Pour vérifier s’il n’y avait pas des paralysies ou des troubles de la mobilité, je lui demandais de lever les bras, de les baisser, de remuer les jambes, etc., et cela les yeux ouverts, puis les yeux fermés. Tant que je lui parlais d’une manière indéterminée : « Levez le bras,… remuez une jambe w, tout se faisait correctement. Mais quand je lui fis un commandement plus précis : « Remuez la main gauche,… levez le bras droit », je constatai un manège singulier. Au lieu de m’obéir de suite, M. baissa les yeux et se remit à regarder ses mains avec une sorte de préoccupation, puis fit le mouvement demandé. « Pourquoi, lui dis-je, regardez-vous ainsi vos mains ? — C’est, répondit-elle, parce qu’on se moque de moi quand je me trompe ;… je cherche la main qui a une bague pour savoir que c’est la main droite et faire ce que vous me demandez. » Il était tout naturel après cette réponse de lui ôter sa bague, ou mieux, pour ne pas la troubler, de lui demander les mêmes mouvements quand elle avait encore ses gants aux mains.

  1. Note communiquée dans la séance du 31 mars 1890.