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qu’est-ce que l’art, sinon une expression de la vie plus intense et plus sympathique parce qu’elle procède d’une âme supérieure en laquelle vient se concentrer la vie de l’humanité et de la nature tout entière ? Voilà, certes, une grande vérité dont devraient se pénétrer tous nos esthéticiens et nos artistes contemporains : bien mieux que les théories du jeu des facultés représentatives et de l’art pour l’art, elle répond aux plus puissantes et légitimes aspirations de notre siècle. Comment peut-elle se concilier avec les principes de l’esthétique platonicienne et de l’esthétique kantienne, auxquels on ne saurait sans doute refuser une certaine valeur ? C’est là une question dont Guyau ne s’est peut-être pas assez préoccupé et que ceux qui traiteront d’esthétique après lui auront à résoudre ; mais il suffit à sa gloire d’avoir découvert un principe nouveau et fécond qui, en même temps qu’il explique les plus hautes manifestations de l’art ancien, peut être considéré à juste titre comme la formule prophétique de l’art à venir.

E. Boirac.

E. Joyau. Essai sur la liberté morale. Paris, F. Alcan, 1888.

Voici une nouvelle contribution au problème capital de la métaphysique : L’homme est-il libre ? Ce problème, quand il n’est pas jugé insoluble, paraît comporter deux solutions, pas plus : celle des déterministes, celle de leurs adversaires. L’apparence est trompeuse. On se fait fort, par le temps qui court, de rester déterministe et de croire à la liberté. — Erreur. On opte entre l’une et l’autre croyance, mais on garde les deux mots. — Toujours est-il que si on les garde, ce n’est point pour le plaisir assez douteux d’encombrer son vocabulaire et de dérouter son lecteur. Il est un plaisir d’ordre infiniment plus relevé et que les amis de la métaphysique excellent à se procurer : celui de faire évanouir les contradictions issues de doctrines antagonistes en essayant d’en opérer la synthèse. « Pourquoi, se dit-on, ne pas abandonner, une fois pour toutes, aux esprits lourds, l’habitude fâcheuse de n’apercevoir jamais que deux solutions possibles et d’en laisser une des deux au rebut ? Le fameux âne de Buridan est un âne légendaire : mettez un âne de chair et d’os entre deux picotins d’avoine, s’il a véritablement faim, il les mangera successivement. Ayons donc pareille sagesse : non seulement ne restons pas indécis entre deux solutions qui nous tentent, préférons-les toutes deux ; et pour peu qu’il nous faille justifier de cette préférence, soyons sûrs que les raisons ne nous manqueront point. Le principe de contradiction n’est qu’une béquille à l’usage des logiciens, ces apprentis de la métaphysique. »

Est-ce à dire, précisément, que M. Joyau se soit tenu pareil langage ? Son étude a des allures sages, sincères ; c’est le livre d’un philosophe, ami de l’observation intérieure et qui jamais ne prétendit escalader l’absolu : c’est même là ce qui fait l’originalité du livre. Et pourtant