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ANALYSES.guyau. L’art au point de vue sociologique.

dites par les faits. Or, l’existence de tels éléments est reconnue par Ouyaii lui-même. « L’art, dit-il, est un ensemble de moyens pour produire cette stimulation générale et harmonieuse de la vie consciente qui constitue le sentiment du beau. » Nulle trace du « point de vue sociologique » dans cette définition générale de l’art. Dans une très fine et très juste analyse du plaisir que nous procure l’imitation, Guyau remarque que le premier élément de ce plaisir est le plaisir intellectuel de reconnaître les objets par la mémoire et aussi le plaisir sensitif de revivre une portion de notre vie. La sociologie n’a rien à voir dans ce double plaisir. Qui sait si l’art ne contient pas encore un grand nombre d’éléments analogues ? Certainement, si Guyau avait pu parfaire son œuvre, il n’aurait pas manqué d’envisager cet « autre côté » de la question.

Une fois admis le caractère social de l’art, il semble naturel de poursuivre les conséquences de ce principe dans l’étude des lois et des formes les plus générales de l’art. Nous passerons donc par-dessus deux chapitres sur le génie et la critique, qui ne sont pas cependant parmi les moins remarquables du livre, mais qui nous paraissent rompre l’enchaînement logique des idées. C’est du reste dans le plan de l’ouvrage que se laisse surtout apercevoir le défaut d’une coordination finale. Les différentes parties du livre semblent plutôt juxtaposées que liées. Des études sur le roman à notre époque, sur les idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine, entrecoupent la théorie générale et systématique de l’art. Le livre, croyons-nous, gagnerait en cohésion et en clarté, s’il se divisait nettement en deux parties distinctes : l’une contenant la théorie générale de l’art (nous grouperions sous ce premier chef les chapitres sur la solidarité sociale comme principe de l’émotion esthétique la plus complexe, sur l’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art, sur le réalisme et ce que Guyau appelle d’un nom qui mérite de rester le trivialisme, sur le style, enfin sur le génie et la critique) ; l’autre contenant au contraire des études spéciales, des monographies consacrées à certaines branches de la littérature contemporaine (ici se rangeraient naturellement les chapitres sur le roman psychologique et sociologique, sur l’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie, sur la littérature des décadents, etc.).

Mais avant d’examiner les conséquences que Guyau tire de son principe fondamental, assurons-nous bien du sens dans lequel il faut l’entendre.

Dans la très remarquable introduction que M. Alfred Fouillée a mise en tête du livre, voici comment ce principe est interprété. L’art est essentiellement social parce qu’il a pour but de produire la sympathie sociale. « Les sensations et les sentiments sont au premier abord ce qui divise le plus les hommes ; si on ne discute pas des goûts et des couleurs, c’est qu’on les regarde comme personnels, et cependant il y a un moyen de les socialiser en quelque sorte, de les rendre en