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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


M. Guyau. L’art au point de vue sociologique. Paris, F. Alcan, 1889.

C’est une espérance commune à bien des penseurs de notre siècle (Auguste Comte, Stuart Mill, Herbert Spencer, etc.), de voir bientôt se constituer cette science sociale qui sera le lien de tant d’études jusqu’alors éparses, histoire, économie politique, science des religions, science des mœurs, etc. L’esthétique, jusqu’ici rattachée soit à la métaphysique, soit à une psychologie qui s’enferme tout entière dans l’analyse de l’esprit individuel, ne devra-t-elle pas aussi chercher dans la sociologie ses véritables fondements ?

Telle est la pensée qui inspire le beau livre de M. Guyau : l’Art au point de vue sociologique. Toutefois la thèse qu’il y soutient, ce n’est pas cette vérité, souvent redite et devenue banale, qu’il existe entre l’art et la société un échange perpétuel d’actions et de réactions ; ce lieu commun n’était pas fait pour tenter un esprit curieux et pénétrant comme celui de Guyau. L’art est dans sa racine, dans son essence même, un phénomène social ; l’idée de société fait partie intégrante de l’idée d’art : voilà la thèse infiniment plus originale et plus neuve que ce livre développe avec toutes les ressources du plus merveilleux talent d’écrivain. Pour emprunter au kantisme ses expressions consacrées, Guyau voit dans cette formule : « L’art est un phénomène social », non un jugement synthétique, mais un jugement analytique ; et ce simple changement de point de vue suffit, on le verra tout à l’heure, à en renouveler tout le sens.

Qu’on ne cherche pas, toutefois, dans le livre de Guyau, une démonstration en règle de cette thèse : elle y est plutôt illustrée que démontrée, ou pour mieux dire, cette démonstration y est la conséquence naturelle des applications sans nombre qui en sont faites aux différents problèmes de l’esthétique et des solutions ingénieuses ou élégantes, au sens mathématique du mot, qu’elle apporte à tous ces problèmes. Cette méthode, nullement dogmatique et didactique, comme celle de la plupart des faiseurs de traités, mais infiniment plus souple et plus féconde en sa libre variété, Guyau l’a toujours pratiquée dans les livres où il exposait ses idées (ainsi, dans les Problèmes d’esthétique contemporaine, dans l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, etc.).