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ern. naville. — science et matérialisme

l’état simplement virtuel. C’est pourquoi Helmholtz a dû écrire : « La somme des forces vives et des énergies potentielles est constante[1]. » Les progrès les plus récents de la physique nous ramènent donc à la pensée d’Aristote, distinguant ce qui existe en acte et ce qui existe simplement en puissance. Si nous sommes conduits à admettre l’existence de la force physique à l’état potentiel, il n’est pas plus difficile d’admettre un mode analogue d’existence pour la force psychique. L’esprit n’est pas constitué par ses actes accomplis, mais par le pouvoir de les accomplir. Ne pas distinguer les manifestations possibles d’un être de ses manifestations actuelles est une erreur grave.

J’ai admis, dans tout ce qui précède, l’union indissoluble des phénomènes psychiques et des mouvements de la matière composant le corps humain. C’est bien là le résultat de l’expérience ordinaire et commune. L’esprit ne se manifeste pas sans des phénomènes cérébraux constatés, ou, le plus souvent, supposés par une induction légitime. Mais n’existe-t-il aucun fait qui ouvre d’autres voies à la pensée ? Pour préciser la question : N’a-t-on jamais constaté des perceptions absolument anormales au point de vue de notre physiologie ? On raconte que, en 1756, le fameux Swedenborg revenant d’Angleterre débarqua à Gothenbourg et décrivit un incendie qui se produisait au moment même à Stockholm. Sa description, dit-on, se trouva parfaitement exacte. La chose fit assez de bruit pour attirer l’attention de Kant, qui jugea la question assez sérieuse pour lui consacrer un assez long écrit. Nombre de faits de cette nature ont été affirmés. Pendant longtemps les hommes de science ont refusé de les prendre en considération ; ils leur ont opposé une fin de non recevoir plus ou moins dédaigneuse en se bornant à prononcer le mot impossible. Il s’est produit à cet égard, depuis quelques années, une modification très sensible dans les dispositions d’une partie du monde savant. À l’occasion des phénomènes mystérieux de l’hypnotisme, on a affirmé et l’on affirme que les limites du possible nous sont inconnues, que rien ne prévaut contre un fait, et que les termes d’invraisemblable, d’étrange et d’impossible ne sont nullement synonymes. Des récits rejetés autrefois avec trop de dédain sont peut-être acceptés aujourd’hui avec trop de crédulité par les savants qui se considèrent comme les représentants de la méthode expérimentale ; mais un progrès logique considérable a été effectué. On se rend compte, mieux que jadis, que la contradiction seule constitue l’impossibilité et que, en matière de faits, tout ce qui est attesté par

  1. Mémoire sur la conservation de la force, p. 77.