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contribuer, suivant mes moyens, armé de la balance, de la machine pneumatique et du microscope, à détrôner les propositions sans valeur d’une tradition arbitraire[1]. »

La tradition sans valeur que M. Moleschott se propose de détrôner est relative à des objets qui échappent par leur nature à la balance, au microscope et à la machine pneumatique. Lorsqu’on admet que ce sont là les seuls instruments d’une science véritable, on oublie tout ce qui leur échappe ; et tous les phénomènes du monde spirituel disparaissent pour un regard exclusivement dirigé vers les choses qui se voient ou se pèsent. L’étude de l’ouvrage de M. Herzen est fort instructive sous ce rapport. Ce savant explique qu’il existe deux conceptions différentes du monde et de l’homme : le monisme et le dualisme. Le monisme admet que tous les phénomènes de l’univers, les phénomènes psychiques compris, sont les modifications d’une seule essence, le dualisme admet deux essences différentes : la force et la matière, le corps et l’âme. Après ces explications l’auteur écrit : « Chacun peut choisir entre le dualisme et le monisme et adopter celui qui convient le mieux à sa manière de raisonner et de sentir… En effet, la science ne démontre d’une façon absolument certaine que le fait de la simultanéité et de la corrélativité constantes et nécessaires de la vibration nerveuse et de l’activité mentale ; elle en fait ainsi deux phénomènes inséparables, devant toujours se manifester ensemble, et ne pouvant avoir lieu l’un sans l’autre ; mais elle ne peut, en aucune façon, décider si l’activité de l’esprit et la vibration nerveuse sont une seule et même chose ou deux choses distinctes, rivées l’une à l’autre par une mystérieuse et inconcevable harmonie préétablie. À ce sujet, il ne saurait y avoir de preuves positives, puisque, pour les fournir, il faudrait pouvoir pénétrer l’essence des choses. Or l’essence des choses est inaccessible à notre intelligence[2]. »

On peut remarquer dans cette déclaration l’identité faussement établie entre deux idées distinctes : celle de phénomènes se manifestant toujours ensemble, et celle de phénomènes ne pouvant avoir lieu l’un sans l’autre. C’est le passage indu du réel constaté par l’expérience au nécessaire qui est un concept de la raison. Il convient de le remarquer parce que c’est un procédé d’un emploi habituel dans l’école empirique. M. Moleschott, par exemple, demande qu’on accorde que la ce pensée n’est que la page sur laquelle viennent s’inscrire les faits, et qu’elle n’a d’autre privilège que celui de les

  1. La circulation de la vie, t.  I, p. 10.
  2. Le cerveau et l’activité cérébrale, p. 6.