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ern. naville. — science et matérialisme

mentales comme des fonctions vitales, c’est le Mouvement qui a une face subjective.

M. Léon Dumont loue Lewes d’avoir établi « l’identité du mouvement et de la sensation », et affirmé que « la sensation est le mouvement lui-même subjectivement considéré ». Allant plus loin que Lewes dans la même direction de la pensée, il étend la sensation aux phénomènes physiques et chimiques et il écrit : « Toute sensation élémentaire a, selon nous, conscience d’elle-même, car sentir et avoir conscience sont des termes synonymes. Nous ne pouvons admettre que certains mouvements n’aient pas, à leur propre point de vue, de face subjective ; et par conséquent tout mouvement, même en dehors de la conscience personnelle du moi, doit être une sensation, un fait de conscience élémentaire, alors même qu’il reste, en tant que conscience, entièrement ignoré des autres faits de conscience[1]. »

C’est le mouvement qui a une face subjective à son propre point de vue. C’est donc le mouvement qui se considère lui-même, tantôt sous une face, tantôt sous l’autre ; et en se voyant sous sa face subjective, c’est-à-dire en devenant sujet pour se considérer lui-même comme objet, il se voit sensation, sentiment, pensée, volonté. Je ne sais rien de plus inintelligible dans toute l’histoire de la philosophie que cette théorie de la face subjective des mouvements de la matière. Le matérialisme est si peu le résultat naturel de la science qu’il est la négation positive d’une science sérieuse et complète. Pour identifier deux ordres de faits dont la science proclame la différence essentielle, il est conduit à se perdre dans des régions obscures que recouvrent les nuages épais de l’erreur. Comment s’expliquer que cette doctrine séduise des savants d’ailleurs estimables, des hommes d’ailleurs intelligents ?

L’une des explications principales de ce phénomène est certainement la préoccupation exclusive d’un seul ordre de faits. Les découvertes de la physique et les merveilles de l’industrie qui en ont été Je résultat, les explications physico-chimiques d’un grand nombre des phénomènes de la vie, le développement des études de la médecine scientifique, constituent un ensemble de circonstances qui ont fortement dirigé l’attention sur les sciences de la matière. Ces circonstances expliquent, sans le justifier, l’espèce d’éblouissement qui frappe un certain nombre d’esprits et ne leur laisse plus voir qu’un seul côté des choses. De là la tentation de ramener l’étude entière de l’homme à celle de ses organes. M. Moleschott écrit : « J’ai voulu

  1. Revue scientifique du 8 mai 1873, p. 1059.