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responde à un mouvement en spirale dextre des molécules du cerveau, et le sentiment haine à un mouvement en spirale senestre. Nous saurions que, quand nous aimons, le mouvement se produit dans une direction, et que, quand nous haïssons, il se produit dans une autre ; mais le pourquoi resterait encore sans réponse[1]. » La question du pourquoi ne se poserait pas si l’on pouvait admettre que l’amour et la haine ne correspondent pas à des mouvements, mais sont ces mouvements eux-mêmes.

Entendons maintenant l’illustre physicien Mayer. « Il se produit continuellement dans le cerveau vivant des modifications matérielles que l’on caractérise par l’expression d’activités moléculaires, et les opérations de l’esprit de chaque individu sont intimement unies à cette action cérébrale matérielle. Mais c’est une erreur grossière d’identifier ces deux activités qui se produisent parallèlement. Un exemple éclaircira complètement la question. On sait qu’aucune dépêche télégraphique ne peut avoir lieu sans la production concomitante d’une action chimique ; mais ce que dit le télégraphe, c’est-à-dire le contenu de la dépêche, ne peut être considéré en aucune manière comme fonction d’une action électro-chimique. C’est ce que l’on peut dire avec plus de vérité encore du cerveau et de la pensée[2]. »

Comment essaye-t-on de justifier l’affirmation que M. Mayer traitait d’erreur grossière ? Il est impossible de nier la différence des faits matériels et des faits psychiques. Pour se donner le droit d’affirmer néanmoins leur identité, on a recours à la théorie que voici : il s’agit d’un fait unique, mais qui a deux faces : la face objective et la face subjective. Le corps et l’esprit sont une seule et même chose, mais cette même chose se présente sous deux aspects ; il ne s’agit pas d’une différence d’existence, mais d’une simple différence de point de vue.

M. Lewes, entre autres, a clairement émis cette pensée. Il a écrit : « On peut indifféremment appeler la sensation un processus nerveux ou un processus mental, un mouvement moléculaire ou un état de conscience, parce qu’elle est l’un et l’autre en même temps, et parce qu’il s’agit des deux faces d’une seule et même réalité[3]. » Comme cet auteur déclare qu’il est nécessaire d’adopter franchement le point de vue biologique, c’est-à-dire de regarder les fonctions

  1. Discours de Norwich. Revue des cours scientifiques, n° 1.
  2. Discours aux naturalistes allemands à Insbruck, 1869. Revue des cours scientifiques, 22 janvier 1880.
  3. Lewes, Revue philosophique de décembre 1879, p. 643, et Herzen, Le cerveau et l’activité cérébrale, p. 210.