Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/632

Cette page n’a pas encore été corrigée


LA SCIENCE ET LE MATÉRIALISME


La science produit-elle le matérialisme ? Pour préciser la question, les corps en mouvement sont-ils la seule réalité, en sorte que l’explication de l’univers, l’homme compris, soit un simple problème de mécanique ? La réponse affirmative est le fond commun de toutes les doctrines matérialistes, quelle que soit d’ailleurs l’idée qu’on se fasse de la nature de la matière. La question a été posée dès l’origine des recherches philosophiques. Elle a de nos jours une importance exceptionnelle, parce que des écrivains nombreux déclarent expressément, et avec la plus entière assurance, que le matérialisme est l’inévitable conclusion des admirables découvertes de la science moderne.

De quelle science s’agit-il ? Seraient-ce la physique et l’astronomie qui amèneraient à la négation légitime de l’esprit ? M. Giard nous dit « qu’on sort du terrain scientifique dès qu’on parle d’un principe directeur pour expliquer les phénomènes naturels[1] ». L’ordre des phénomènes que le savant cherche à découvrir a certainement une réalité objective et cet ordre est la manifestation d’un principe directeur. Si le monde n’était pas réglé selon l’intelligence, il serait incompréhensible. Vous oubliez l’intelligence dans vos explications de la nature, disait Anaxagore aux transformistes de l’école d’Ionie. Pythagore précise par le nombre l’idée de l’intelligence manifestée dans la nature. La physique moderne, fondée sur les mathématiques, est venue, après vingt-cinq siècles, apporter la vérification expérimentale de cette conception hardie. Si la nature n’était pas réglée selon l’intelligence, la science de la nature n’existerait pas. Le fait est incontestable, et son explication la plus naturelle est assurément l’existence d’une intelligence suprême dont l’esprit humain cherche à découvrir les secrets. Il est impossible d’entendre comment l’étude des phénomènes physiques, qui met en évidence l’ordre et la merveilleuse

  1. Revue scientifique du 1er décembre 1888, p. 692.