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l’obsession sexuelle, comme dans presque tous les opéras modernes ; — ou bien elle se transforme en farce et cherche à provoquer une abondante débauche de rires. Mille fois devons-nous préférer ce second mode au premier, au point de vue moral.

Il est bien vrai, cependant, qu’il a été fait des tentatives sérieuses pour utiliser le drame lyrique en vue de fins morales et nobles. Wagner a voulu en faire une œuvre inspirée par le génie antique. Il a employé tous les moyens pour combattre les effets pernicieux de la musique ; les détails matériels de l’exécution sont des merveilles de science et méritent d’être étudiés de près par les psychologues. On voit que le grand homme n’était pas seulement un artiste de génie, mais aussi un observateur de premier ordre. Wagner a choisi ses sujets dans les romans de chevalerie ; il a surtout développé les épisodes où la religion et l’honneur militaire jouent un grand rôle. Nous sommes habitués (à tort ou à raison) à regarder le moyen âge comme une époque de foi et d’héroïsme ; il en résulte que tout drame sur cette période éveille en nous des associations nobles. Enfin, plus le sujet est féerique, plus les détails sont extraordinaires, moins notre âme tend à se laisser entraîner vers la passion sexuelle. Malgré notre profonde et sincère admiration pour le génie de Wagner, nous croyons que sa réforme ne peut aboutir et que son école est morte avec lui. Il nous semble que la musique ne peut plus exercer une influence morale active que sous la forme religieuse[1]. Le chant a eu toujours une grande importance dans tous les cultes ; il va nous être facile de définir les règles auxquelles il doit se conformer.

La musique ecclésiastique ne saurait avoir pour but de provoquer des crises, comme cela a lieu chez les peuples sauvages et dans quelques sectes ; elle ne doit pas non plus tellement obséder l’auditeur que celui-ci s’engourdisse tout à fait et ne puisse plus prier ; elle ne doit arriver qu’à exercer une moyenne prise de possession de l’individu, en vue d’améliorer sa prière et de rendre le culte plus parfait. Pour obtenir ce résultat, elle cherche à imposer aux fidèles le calme de l’intelligence, arrêter le travail de la raison discutante, faire évanouir toutes les préoccupations séculières et anéantir les passions.

Un pareil programme n’est pas facile à remplir : il faut tout d’abord que la musique n’éveille aucune association d’idées rappelant le dehors. Bien souvent les compositeurs ne se rendent pas compte de

  1. L’opérette gaie et bouffonne exerce une influence morale passive, en calmant l’ardeur de nos sens, la nervosité de notre constitution. On voit quelles conséquences importantes il y aurait à tirer de cette théorie pour la direction à donner au théâtre.