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Nous avons signalé l’obscénité démoniaque ; tout engourdissement de l’intelligence tend à se traduire par une singulière surexcitation des instincts sexuels. On retrouve de nombreuses preuves de cette loi dans les récits impartiaux, que l’on possède, sur les extases des gnostiques, des ensorcelés et des méthodistes modernes dans les revivals d’Amérique. Les hypnotiseurs connaissent parfaitement la puissance que ce phénomène leur donne sur leurs sujets.

La musique est donc un art dangereux, toujours prêt à faciliter les progrès de la démence et de l’immoralité. Nous savons qu’on va se récrier, mais notre théorie est fondée sur des observations certaines et sur le témoignage unanime des grands philosophes grecs.

V

Aristote condamne le mode phrygien et la flûte, sans que l’on ait parfaitement expliqué les raisons de ce jugement. Il dit que la flûte s’emploie dans les fêtes de Bacchus et lorsqu’on veut imprimer à l’âme des sensations impétueuses et passionnées ; il reproche enfin à cet instrument d’empêcher l’exécutant de chanter. D’une manière générale il ne veut pas que les citoyens deviennent des dilettanti.

La flûte était jouée, le plus souvent, par des prostituées ; elle s’employait dans des fêtes lubriques ; il y avait là une association d’idées qui a perdu pour nous sa valeur. En général, les associations jouent un grand rôle dans les impressions musicales : c’est ainsi que certains instruments au timbre nasillard sont employés dans les pastorales, par souvenir des grossiers appareils des campagnards ; les effets produits par l’apparition ou la disparition de certaines séries d’harmoniques nous semblent également se rapporter à des comparaisons faites avec des instruments réputés nobles et parfaits.

Aristote ne se bornait point à condamner la flûte pour cette seule raison ; car il approuve les Athéniens d’avoir interdit un grand nombre d’instruments à corde, les uns parce qu’ils excitaient des idées de volupté, les autres parce qu’ils exigeaient trop d’habileté. Le philosophe ne veut pas que la recherche des finesses fasse oublier l’importance morale de l’art. Nous sommes extrêmement frappés de la raison tirée de l’impossibilité de chanter en jouant de la flûte ; il est clair qu’Aristote veut protéger le musicien contre la puissance et l’obsession des représentations sonores. Si l’homme conserve l’usage de la parole, s’il s’en sert d’une manière convenable, l’âme ne sera pas, tout entière, sous la domination des effets sensoriels. Il restera une petite place pour la pensée ; cette place