Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
570
revue philosophique

ture. On ne saurait compter le nombre des inventeurs des formes qui devaient réaliser la perfection. L’esprit ultra-classique de certaines écoles avait beaucoup contribué à répandre ces erreurs, en attribuant une importance exagérée aux proportions des ordres. Au xviie siècle, époque où l’art était en pleine décadence et l’esprit philosophique singulièrement oblitéré, on ouvrit un concours pour trouver un sixième ordre, destiné à perpétuer la gloire du roi et de Colbert. Plus tard on discuta sur la courbure la plus élégante et Hogarth chercha à déterminer la ligne parfaite ; comme si une ligne pouvait avoir, par elle-même, une valeur esthétique quelconque.

Cependant on savait que les Grecs avaient introduit dans leurs constructions certaines combinaisons numériques ; plus tard, on s’aperçut que les artistes du moyen âge avaient tracé leurs plans d’après certaines règles géométriques. Ceux qui n’allaient pas au fond des choses pouvaient croire que ces exemples étaient de nature à appuyer une théorie mathématique des formes.

Viollet-le-Duc s’est beaucoup occupé de ces questions et il a employé nombre de pages à démontrer, par des exemples frappants, la réalité des méthodes géométriques du moyen âge. Il appréciait beaucoup, aussi, les belles recherches de M. Aurès sur les éléments numériques des monuments grecs. Il a été assez heureux, lui-même, pour retrouver dans une église des dernières années du xiie siècle toute une série de mesures qui rappellent les systèmes helléniques[1].

Le grand critique se garde bien d’interpréter ces résultats à la manière vulgaire ; il croit même que l’œil serait choqué s’il parvenait à établir des rapports trop simples entre les parties ; c’est à cette considération qu’il attribue l’importance donnée à certains nombres réputés sacrés, 3, 4, 5, 7. (Il faut bien tenir compte aussi des superstitions artistiques, dont les architectes n’ont jamais été exempts dans l’antiquité et le moyen âge.)

Au point de vue pratique, on peut observer que ces règles, telles qu’elles étaient appliquées et telles que nous les révèlent les constructions, n’avaient pas du tout un caractère esthétique ; elles servaient le plus souvent pour la mnémotechnie ; elles permettaient de ne pas trop tâtonner à la recherche de dimensions ; en un mot, elles n’étaient pas les maîtresses, mais les servantes de l’art. Ce caractère saute aux yeux dans l’exemple de l’église de Saint-Yved. Pour établir une des grosses piles du transept, on a tracé un carré ayant 3 pieds

  1. Dictionnaire, t.  VIII, p. 516. L’église de Saint-Yved en Braisne a été commencée en 1180 et consacrée en 1216.