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mènes devaient obéir à une loi unique ; c’est ainsi qu’il put donner sa formule logarithmique comme la base de toute la science. L’âme, n’ayant pas de parties, ne peut évidemment avoir qu’une seule manière de connaître le monde extérieur ; la multiplicité pouvait être conservée dans les opérations spécifiques des organes ; mais tout devait se ramener à l’unité dès que l’on arrivait à la conscience.

Les discussions soulevées par les idées de Fechner ont été singulièrement fécondes. Les adversaires ont surtout cherché à prouver que la loi psycho-physique n’était pas valable dans tous les cas ; qu’elle n’était pas même générale pour régler toutes les opérations d’un même organe sensoriel ; qu’elle devait faire place à un grand nombre de lois, dépendant tout à la fois de la nature de l’excitant extérieur, du siège de l’excitation, du genre de jugement provoqué.

Par exemple, on a dit que la loi de Weber ne peut pas faire connaître les erreurs commises dans toutes les illusions visuelles, qu’elle n’a guère de valeur que dans la photométrie pour des intensités moyennes. Cela est parfaitement vrai : les expériences de L. Reynaud (sur les estimations de la route basée sur l’emploi de feux de direction) conduisent à une formule qui n’a aucun rapport avec celle de Weber. On chercherait vainement à ramener à un type unique toutes les illusions si variées que provoque la vision, soit sur la position, soit sur la grandeur des objets.

Lorsqu’il s’agit d’apprécier les intervalles musicaux, on ne trouve rien qui ressemble à la formule de Weber ; Wundt a très bien fait voir que, ces expériences étant faites sur des personnes ayant un certain exercice musical, la sensibilité des sujets dépend beaucoup des lois de l’harmonie[1] ; cette manière de comprendre les choses semble confirmée par les expériences faites depuis.

Dans beaucoup de cas, il semble que certains psycho-physiciens, trop zélés, ont abordé ce problème avec des préventions et une superstition vraiment étranges. Dans des expériences de ce genre, il est très facile de se tromper, lorsqu’on a une idée fixe. D’ailleurs le sujet est difficile et peu de savants sont en état d’aborder des études de cette nature ; rien n’est si rare, en effet, que de trouver des personnes ayant l’esprit propre aux recherches physiques. Cl. Bernard a souvent parlé du scepticisme singulier de son maître Magendie : le fondateur de l’école physiologique française allait jusqu’à prétendre que le raisonnement était dangereux.

Les expériences psycho-physiques sont particulièrement difficiles et exigent un observateur doué d’un esprit critique et pénétrant.

  1. Éléments, etc., t.  I, p. 450.