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ANALYSES.bergson. Données immédiates de la conscience.

II. — La doctrine des Impressions affectives en est une première preuve. Les impressions affectives ne doivent pas être confondues avec les perceptions obscures de Leibniz. Celles-ci sont déjà des états de l’esprit. Une simple différence de degré les sépare des perceptions distinctes. Les unes sont, en germe, ce que sont, sous une forme achevée, les autres. Au contraire, les impressions affectives sont hors de l’esprit, étrangères au moi, ignorées de lui. Leur existence n’est pas reconnue ; elle n’est même pas sentie comme agréable ni comme pénible. Les variations du caractère seules la révèlent comme les déviations de Jupiter révélèrent l’existence de Neptune.

Les impressions affectives, distinctes du moi, ne se confondent pas davantage avec le corps. Elles sont les intermédiaires du mouvement et de la conscience, mais, en dernière analyse, de nature psychique, affections de principe vital, inaperçues de l’être vivant, en revanche conscientes d’elles-mêmes. Etrangères les unes aux autres, elles forment, par leur ensemble, non un tout, mais une collection, non un composé, mais un mélange et comme une atmosphère vitale, enveloppe mouvante du caractère.

Elles ont leurs sièges dans les ganglions nerveux de la région précordiale et dans la région des sens. Elles naissent de l’excitation et s’épanchent comme une note fondamentale dont les sensations sont les harmoniques.

Leur action est souveraine. Les repos et les orages de leurs agglomérations font les pensées calmes ou tumultueuses. Leurs brusques variations expliquent les subites volte-face de notre humeur. Mais, si elles gouvernent la volonté, elles la rapprochent aussi des autres hommes. Par elles les influences despotiques, celles du comédien sur les spectateurs, de l’orateur sur son auditoire, de l’hypnotiseur sur son sujet, du dompteur sur son fauve, deviennent possibles.

Si l’on songe que ces impressions affectives, M. Pierre Janet, récemment, les reconnaissait dans les phénomènes psychologiques isolés, dans les « sensations stupides » de Herzen, on saisira dès lors la portée de cette doctrine en laquelle M. Bertrand salue la première théorie française de l’Inconscient.

III. — Passer de l’impression affective à l’effort, c’est passer des antécédents de la conscience à ses suites, des sources de la volonté à ses effets. L’étude de ces effets et de leurs suites compose la partie capitale de l’ouvrage. À ce sujet même, une remarque s’impose. Dans un numéro récent de là Revue (décembre 1889), M. Fouillée a traité le même sujet pour aboutir à des conclusions fort voisines de celles de M. Bertrand. Le livre de ce dernier venait de paraître. Mais ses origines sont plus anciennes. Les deux chapitres de l’effort musculaire reproduisent une lecture faite, il y a trois ans, à l’Académie des sciences morales. Ce petit épisode de la vie de l’Institut a évidemment échappé à M. Fouillée. Nous avons tenu à le signaler pour éviter toute confusion.