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en un mot de la vie de l’âme, on ne pourra se dispenser de recourir à la thèse originale et suggestive de M. Bergson.


A. Bertrand. La psychologie de l’effort. Librairie Alcan, 1889.

M. Bertrand est un audacieux. Il a voulu établir qu’on peut être tout ensemble Français et philosophe. Biran, « psychologue estimable » pour M. Renouvier, illisible pour M. Taine, lui apparaît comme un penseur profond et un limpide écrivain. Cette thèse, l’auteur la développe avec bonheur et avec éclat. Des expositions claires et ingénieuses, une dialectique forte et pressante, un esprit alerte et piquant, un style ferme, coloré, qui parfois se répand en des pages entières d’une rare valeur, toutes ces qualités réunies font de ce petit ouvrage un des plus remarquables qui aient paru en ces derniers temps.

Le plan est simple et logique : les méthodes psychologiques, les antécédents du fait de conscience et ses suites dans la vie de l’effort, l’apparition de la raison et sa portée, telles sont les questions qu’étudie successivement ce livre qui finit dans un cri de guerre jeté à l’idéalisme. Signalons aussi un instructif chapitre sur lequel nous ne pourrons pas insister, et qui fait connaître les idées de Biran en matière d’éducation, ses défiances à l’endroit des programmes surchargés, des mémoires encombrées, en revanche, son vif souci de l’éducation, c’est-à-dire du jugement encouragé, de la réflexion personnelle provoquée, seule manière de fortifier la volonté, d’écarter le pessimisme, d’entretenir, dans un peuple, sa vitalité. La pédagogie biranienne, dit à ce sujet M. Bertrand, produira des hommes. « Toute autre méthode ne nous donnera qu’une poussière humaine. »

I. — Un double trait caractérise la psychologie moderne : d’une part, le mépris de l’observation intérieure ; d’autre part, la prétention d’avoir, la première, employé les méthodes scientifiques. Il y a, dans cette attitude, une erreur et une injustice : une erreur, parce que le sens psychologique reste en dépit de tout le procédé essentiel, et qu’il fixe le but, donne la première chiquenaude ; une injustice, parce que Biran et Ampère n’ont pas ignoré l’emploi de l’expérimentation ni du calcul. « Ils n’ont oublié ni la physiologie qui est leur science favorite, ni l’étude du langage sur lequel Biran a beaucoup écrit, ni la psychologie comparée, ni l’observation des cas pathologiques et tératologiques. » Ils crurent néanmoins que l’observation de soi reste la plus abondante source d’informations. Ils en eurent le goût et Biran surtout le besoin. La vie de ce dernier fut une perpétuelle contemplation du monde intérieur.

L’instrument était d’une délicatesse merveilleuse. L’œuvre devait être digne de l’instrument.