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distingue deux. La première est l’idée de liaison nécessaire. Elle conduit à la conception cartésienne ou spinoziste de la nature, c’est-à-dire au mécanisme mathématique. La seconde, l’idée leibnizienne, « n’entraîne pas la détermination de l’effet par la cause » (p. 162). Elle conduit à une conception dynamiste de la nature, l’avenir n’étant pas solidaire du présent. La notion commune confond ces deux idées : si on les sépare, et qu’on fasse de chacune l’usage qui convient, l’objection déterministe disparaît. « Le principe de causalité renferme deux conceptions contradictoires de la durée, deux images non moins incompatibles de la préformation de l’avenir au sein du présent. Tantôt on se représente tous les phénomènes physiques et psychologiques comme durant de la même manière, comme durant à notre manière par conséquent ; l’avenir n’existera alors dans le présent que sous forme d’idée, et le passage du présent à l’avenir prendra l’aspect d’un effort, qui n’aboutit pas toujours à la réalisation de l’idée conçue. Tantôt au contraire on fait de la durée la forme propre des états de conscience, les choses ne durent plus alors comme nous, et on admet pour les choses une préexistence mathématique de l’avenir dans le présent. D’ailleurs chacune de ces hypothèses, prise à part, sauvegarde la liberté humaine, car la première aboutirait à mettre la contingence jusque dans les phénomènes de la nature, et la seconde, en attribuant la détermination nécessaire des phénomènes physiques à ce que les choses ne durent pas comme nous, nous invite précisément à faire du moi une force libre » (pp. 163-4).

En d’autres termes la liaison causale est ou nécessaire, ou synthétique. Quand on la prend pour nécessaire, elle est analytique : elle exprime, hors de la durée réelle qui n’existe que pour une conscience, des relations mathématiques entre des grandeurs données. Si au contraire la liaison causale est conçue comme synthétique, alors elle n’est jamais nécessaire. Car s’appliquant à des phénomènes qui durent (les phénomènes de conscience par exemple), elle ne pourra pas être une prédétermination de l’effet par sa cause, puisque durer veut dire précisément : ne pas être prédéterminé. — Un kantien dirait peut-être qu’en expliquant ainsi la causalité, M. Bergson, à vrai dire, la supprime. En effet, la première idée, l’idée de liaison nécessaire, si elle est analytique, se rapproche indéfiniment (M. Bergson le dit lui-même) d’un rapport d’identité, « comme une courbe de son asymptote », et, avec une causalité ainsi conçue, « l’existence concrète des phénomènes de la nature tend à s’évanouir en fumée algébrique » (p. 158). Quand on fait passer une expression algébrique par des transformations successives, on ne dit pas, et nul ne pense, que l’une des formes soit la cause de l’autre ; mais bien qu’elles sont égales ou équivalentes. Donc, dans le règne de la quantité pure, point de causalité. Mais dans le règne de la qualité pure, se trouvera-t-elle davantage ? Comment se concilierait-elle avec « l’hétérogénéité absolue de moments qui se pénètrent » et qui sont indéterminés jusqu’à leur entière réalisation ? Ainsi, entre la