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ANALYSES.bergson. Données immédiates de la conscience.

le but où tendent les deux autres, ne paraît pas telle au lecteur qui en jugerait plutôt à l’inverse. En effet, quand M. Bergson en arrive à dire que le problème de la liberté est mal posé, que la liberté ne doit pas se définir, que les objections déterministes s’évanouissent dès qu’on s’abstient de définir et surtout de démontrer la liberté, ces conclusions ne sont point neuves. Et comment le seraient-elles ? Trop de philosophes ont tourné et retourné le problème. Ce qui est original, c’est la voie par laquelle M. Bergson est parvenu à ces conclusions, qui lui sont nécessairement communes avec d’autres philosophes ; c’est l’effort qu’il a fait pour dégager « les données immédiates de la conscience », et pour purifier la qualité pure de toute intrusion de l’élément quantitatif ou de l’espace. Nous nous bornerons donc à montrer brièvement les conséquences que M. Bergson tire des prémisses posées.

M. Bergson examine d’abord le déterminisme physique. Il rappelle que le principe de la conservation de l’énergie, au nom duquel certains déterministes nient la liberté, est simplement un postulat. En l’érigeant en vérité certaine, on tombe dans une illusion psychologique ou métaphysique. La science proprement dite n’a jamais vérifié un tel principe, qui dépasse l’expérience. Ainsi « tandis qu’abstraction faite de toute hypothèse sur la liberté on se bornerait à dire que la loi de conservation de l’énergie régit les phénomènes physiques en attendant que les faits psychologiques la confirment, on dépasse infiniment cette proposition, et, sous l’influence d’un préjugé métaphysique, on. avance que le principe de la conservation de la force s’appliquera à la totalité des phénomènes tant que les faits psychologiques ne lui auront pas donné tort. La science proprement dite n’a donc rien à voir ici » (p. 116). M. Bergson rajeunit cette réfutation en y introduisant sa propre théorie de la durée (la conscience ayant seule une durée réelle, tandis que les objets extérieurs ne durent pas) ; — mais elle était tout aussi solide chez ses prédécesseurs, chez M. Renouvier par exemple. Peut-être même l’était-elle davantage, puisqu’elle était indépendante de la doctrine particulière de M. Bergson sur le temps et la durée, et fondée sur la simple considération des principes et de la portée de la science positive.

Le déterminisme physique se réduit donc à un déterminisme psychologique. Contre ce dernier, M. Bergson emploie fort heureusement sa distinction du moi superficiel et du moi profond. Le déterminisme psychologique, dit-il en substance, est associationniste. Or l’associationnisme ne considère que le moi extériorisé, objectivé par une représentation symbolique. Il oublie ou néglige le moi profond, le moi réel. « Le déterminisme associationniste se représente le moi comme un assemblage d’états psychiques, dont le plus fort exerce une influence prépondérante et entraîne les autres » (p. 122). Isoler ainsi les faits psychologiques les uns des autres, c’est se méprendre sur leur nature, c’est transformer une multiplicité « de fusion » en une multiplicité numérique d’objets coexistants. C’est ne pas voir le moi dans sa durée