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les Écossais, « une perception acquise » ; dans les autres cas, c’est « la perception confuse de la multiplicité plus ou moins considérable de faits psychiques que nous devinons au sein de l’état fondamental » (p. 54) — Cette explication peut être exacte, mais elle n’est pas exclusive de la proposition que M. Bergson veut réfuter : à savoir que nos états de conscience sont susceptibles de croître ou de décroître.

M. Bergson prouve très bien, avec infiniment de souplesse et de finesse, que, toutes les fois qu’un état psychologique varie, il varie qualitativement, mais ce n’est pas là une preuve, ipso facto, que l’état de conscience soit « qualité pure ». Car ne peut-on concevoir qu’il varie à la fois en qualité et en quantité ? Variant en qualité, il devient incommensurable avec lui-même, au sens strict du mot ; il peut croître cependant, si la conscience persiste à le reconnaître dans sa variation.

Ne peut-on pas dire, par exemple, que le remords éprouvé au souvenir d’une mauvaise action croît en intensité pendant les premiers temps qui la suivent, et décroît à une époque plus éloignée ? J’accorde que s’il devient plus intense, c’est que, comme le dit M. Bergson, toute l’âme se trouve peu à peu imprégnée et teinte de ce sentiment. Il change donc à mesure qu’il devient plus cuisant. Mais en changeant il reste le même, impossible à confondre avec tout autre sentiment, et dès lors on peut dire qu’il croît. Ou bien supposons une couleur bleu pale qui passe insensiblement au bleu clair, au bleu profond, au bleu foncé et enfin au noir ; j’accorde que notre sensation varie qualitativement à mesure que la couleur change : mais, néanmoins, c’est toujours la sensation du bleu, et si je ne puis fixer exactement l’instant où le bleu est devenu noir, il n’en est pas moins vrai qu’entre le bleu et le noir je vois une différence spécifique, tandis qu’entre les différentes nuances du bleu je n’aperçois qu’une intensité croissante ou décroissante. « Lorsque le psycho-physicien soulève un poids plus lourd, il éprouve, dit-il, un accroissement de sensation. Examinez, répond M. Bergson, si cet accroissement de sensation ne devrait pas plutôt s’appeler une sensation d’accroissement » (p. 36). Il est vrai, mais si le psycho-physicien a tort de négliger la différence qualitative, qui empêche qu’une sensation puisse être considérée comme la somme de plusieurs autres, M. Bergson néglige l’élément commun qui permet à la conscience, et à la conscience seule, de comparer entre elles deux sensations du même genre. — Mais c’est transporter la qualité dans la quantité, l’inextensif dans l’étendue. — Non, car le genre ou l’espèce est précisément une sorte de lieu inétendu. Il y a ainsi dans la conscience une homogénéité sui generis, qui ne consiste point dans l’identité des parties, puisque les états de conscience n’ont point de parties, et qui rend possible une évaluation — purement subjective — de leurs intensités relatives.

À vrai dire la question est plus profonde, et nous la retrouverons plus loin, au cœur même de la thèse. La racine de la difficulté tient à une proposition que M. Bergson formulera : « Tout ce qui est homo-