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ANALYSES.bergson. Données immédiates de la conscience.

vrai que vous vous apercevez d’une passion profonde, une fois contractée, à ce que les mêmes objets ne produisent plus sur vous la même impression ? » D’où M. Bergson conclut que ce n’est pas le désir qui a passé par des grandeurs successives, mais l’âme qui a passé par une série d’états dont aucun n’est commensurable avec les autres. Il y a donc eu changement non de grandeur, mais de qualité. — Une explication analogue rend compte de l’intensité des émotions esthétiques, dont M. Bergson fait en passant une analyse extrêmement tine et originale. L’objet de l’art, selon lui, est « d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé » (p. 11). Cette observation psychologique pourrait s’accorder avec la théorie de Schopenhauer, qui regarde le sentiment esthétique comme une sorte d’affranchissement momentané, où le vouloir-vivre oublie la lutte et où l’égoïsme se tait, absorbé dans la contemplation.

2o Considérons maintenant la sensation d’effort musculaire, qui s’objective pour ainsi dire naturellement dans le mouvement accompli. L’effort ne nous apparaît-il pas comme susceptible de croître ou de décroître ? Nul fait de conscience n’est plus propre h nous convaincre de l’existence de grandeurs intensives. « Comme la force musculaire qui se déploie dans l’espace et se manifeste par des phénomènes mesurables nous fait l’effet d’avoir préexisté à ses manifestations (c’était l’idée de Maine de Biran), mais sous un moindre volume et à l’état comprimé pour ainsi dire, nous n’hésitons pas à resserrer ce volume de plus en plus, et finalement nous croyons comprendre qu’un état purement psychique, n’occupant plus d’espace, ait néanmoins une grandeur » (p. 16). Nous ne le comprenons pourtant point, puisque, selon M. Bergson, ce serait inintelligible. Il y a ici encore une illusion. M. William James a montré, en effet, qu’en dépit des apparences, le sentiment de l’effort musculaire est afférent, non efférent. Dès lors, un effort nous paraît croître, quand augmente le nombre des muscles excités sympathiquement. Nous croyons avoir conscience d’un effort plus énergique, plus grand, sur un point donné de l’organisme, et ce que nous percevons en réalité, c’est un nombre plus grand de contractions musculaires intéressées au mouvement voulu dans l’effort. Donc l’intensité d’un effort n’est pas plus une grandeur que l’intensité d’un sentiment profond de l’âme. Dans l’un et l’autre cas, il y a progrès qualitatif et complexité croissante obscurément perçue (p. 19). Ce qui s’est dit de l’effort peut se répéter pour l’attention. Selon la théorie de M. Ribot, l’attention est d’autant plus énergique que plus de muscles se trouvent intéressés à maintenir cet état de l’âme.

3o Passons maintenant aux sensations proprement dites. Elles nous sont données comme des états de conscience simples, dont l’intensité semble comporter le plus et le moins. Comment M. Bergson rendra-t-il compte de ce fait ? — Il considère successivement les sensations dites