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cachées. En ce qui concerne les âges, nous en avons la preuve par la variabilité constatée de l’âge où se produit la criminalité maxima. En moyenne, c’est 25 ans ; mais, d’un pays à l’autre, l’écart est considérable, et la précocité des malfaiteurs paraît croître à mesure qu’ils se civilisent. Encore y a-t-il des exceptions ; Colajanni, d’après Ferri, nous donne un tableau instructif de la proportion des détenus mineurs dans les prisons des divers pays. Cette proportion est, sur 100 détenus, de 27 en Angleterre, de 20 en Belgique, de 10 en France, de 8 en Italie, de 2 en Prusse, etc. Ce dernier chiffre a lieu de surprendre. Le premier, très élevé, semble indiquer que les jeunes Anglais sont bien avancés pour leur âge et contredît ainsi — la remarque est de Colajanni — le préjugé courant sur le tempérament réputé retardataire des races septentrionales. En Angleterre, du reste, la délictuosité des mineurs est en voie de décroissance, tandis qu’elle fait des progrès effrayants parmi nous[1] ; c’est d’autant plus alarmant que, la fécondité des mariages français étant bien inférieure à celle des mariages britanniques, le chiffre proportionnel des mineurs dans la population totale de notre pays est moins élevé. Leur participation à la criminalité générale est donc encore un peu plus forte qu’elle ne semble résulter des statistiques. Il est curieux d’observer que, moins nous avons d’enfants, moins nous les surveillons. On aurait pu espérer le contraire comme dédommagement du déclin relatif de notre population. Il paraîtrait naturel d’élever avec plus de soin et de succès sa famille diminuée en nombre. Mais la raison pour laquelle on a moins d’enfants est aussi celle pour laquelle on les élève plus mal, tout en les outillant mieux de connaissances ; à savoir, l’insouciance relative des intérêts futurs de la famille (et aussi de la patrie) au delà de la vie des individus actuels. La préoccupation mystique de la vie posthume, chez nos aïeux, avait au moins cela de bon, pratiquement, d’orienter beaucoup plus loin leur prévoyance ; et, bien que le souci dominant du supra-terrestre eût dû, ce semble, les rendre plus indifférents à la prolongation et à la prospérité terrestre de leur race, il arrivait, au contraire, le plus souvent, sauf chez les célibataires ecclésiastiques, que l’habitude d’outrepasser dans leurs calculs leur vie actuelle, de sacrifier en partie celle-ci à l’autre, les disposait à s’inquiéter davantage de leur postérité, à la vouloir nombreuse et durable, honorable et prospère, et à s’imposer des privations, à eux et à leurs enfants présents, en vue de ce but éloigné. Par une association inverse d’idées, la visée exclusive de la vie présente, bien qu’elle eût dû logiquement accroître notre désir de revivre longtemps et honorablement dans nos petits-neveux, nous a déshabitués des longs soucis, sinon des vastes pensées. — Sur cette « diminuation de la famille », M. Joly a un chapitre bon à relire. « De plus en plus, nous voyons augmenter les divorces et diminuer les nais-

  1. Et dans toute l’Europe, sauf l’Espagne qui participe seule au privilège anglais de cette diminution.