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REVUE GÉNÉRALE.misère et criminalité

montre à nous maintenant le plus doux, le plus inoffensif de l’Europe, classé le plus blanc de tous sur la carte du meurtre et de l’assassinat ; quand les Bulgares, les Serbes, les Cosaques, les Piémontais, les Romagnols, les Suisses, et beaucoup d’autres, sans oublier les insulaires des Marquises, ces anciens cannibales changés en paisibles laboureurs, nous présentent un phénomène pareil ; et quand, à l’inverse, la Grèce moderne comparée à la Grèce antique, la Calabre comparée à la Grande-Grèce, nous offrent le passage de la civilisation la plus humaine à la plus cruelle barbarie ; est-ce que nous ne sommes pas autorisés à dire que le caractère ethnique de ces peuples, au point de vue social, le seul qui nous intéresse pratiquement, a changé du tout au tout ?

La distinction précédente nous fait comprendre aisément pourquoi des nations de même race ont des caractères moraux si souvent opposés. Il n’est pas de race qui ne soit civilisable ou barbarisable, et sous les formes les plus multiples de civilisation ou de barbarie, de même qu’il n’est pas de caractère naturel qui ne puisse être empiré ou amélioré, et de bien des manières différentes, par l’effet de l’éducation. L’histoire de Rome est une démonstration éclatante de cette vérité, et je m’étonne qu’un Italien n’en soit pas frappé. Qu’est-ce que l’Empire romain, en ses quatre ou cinq siècles d’assimilation civilisatrice, si ce n’est une sorte de grand et glorieux concours ouvert à toutes les races de toutes provenances et de toutes couleurs, et où chacune d’elles tour à tour, italique, espagnole, arabe, gauloise, germaine, punique et libyenne, a gagné le prix de l’éloquence, de la poésie, des armes, et s’est assise sur le trône des Césars ? Par le greffage de la romanisation sur une immense échelle, bien au delà des limites mêmes de l’Empire, il n’est pas de sauvageon humain qui n’ait porté des fruits savoureux[1]. — Mais laissons, si l’on veut, cet exemple classique ; il en reste assez, que nous fournit M. Colajanni, pour nous prouver le rôle secondaire que joue la race dans la moralité. Parmi les Peaux-Rouges, à côté de tribus voleuses, nous en voyons d’autres, de même sang, très honnêtes. Le Mongol, lâche et couard en Chine, est resté brave au Japon. Les Juifs, commerçants, banquiers, usuriers en Europe, haïssent le commerce en Abyssinie, et y pratiquent l’agriculture ; dans le Caucase, ils sont belliqueux. Les Monténégrins sont aussi violents et vindicatifs que leurs frères les Serbes sont doux et cléments. Les Français du Canada ne ressemblent guère non plus à leurs cousins d’Europe…

On dira peut-être : Si l’action de la race et de l’hérédité sur la production criminelle est contestable, celle de l’âge et celle du sexe, au moins, sont évidentes, puisque, partout, la criminalité des femmes est très inférieure à celle des hommes, et que, partout, le tribut payé par les âges successifs à la criminalité va s’élevant jusqu’à l’âge adulte, puis s’abaissant. — Mais, ici même, interviennent des causes sociales

  1. Et la christianisation de tant de races diverses : quelle transformation plus profonde encore !