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J. PAYOT.sensation, plaisir et douleur

les fonctions digestives, nutritives deviennent actives : par suite elles tendent à produire de plus en plus jusqu’à une limite supérieure qu’il est impossible de dépasser. À cet état correspond une sensation de plaisir intense et volumineux : on se sent vivre, on est gai, exubérant. Toutes les dépenses sont aussitôt réparées avec abondance : la respiration est ample, on a le cœur léger, c’est-à-dire que les mouvements en sont vigoureux ; chez les femmes qui nourrissent, « une montée » de lait se produit, bientôt suivie de plusieurs autres. Les expériences de Claude Bernard sur un chien prouvent que la joie augmente la production du suc gastrique. Les mouvements par lesquels se traduit le plaisir diffèrent essentiellement des mouvements de la douleur : les traits prennent une expression souriante ; l’annonce d’un congé inattendu provoque chez les lycéens des cris perçants, des gambades, des sauts ; le rire provient, comme les sanglots, de mouvements saccadés du diaphragme, mais aucune dépression ne suit cette dépense de forces, ou, s’il y a dépression légère, rapide est la réparation. Le saut produit par une brûlure n’a rien non plus de commun avec les gambades de l’écolier qui passe de son étude dans une cour ensoleillée : dans le premier cas la force est prélevée sur les réserves nécessaires à la vie normale ; dans le second cas, elle est la dépense d’un surplus, puisque rien n’atteste le passage de l’onde de plaisir, sinon le ton de vie surélevé pour quelque temps encore.

Les mouvements traduisant le plaisir sont énergiques, vifs, rapides : la pupille se contracte ; la force dynamométrique augmente et tout indique redoublement de vitalité.

Le plaisir provient si manifestement d’un surcroît de forces, qu’il accompagne surtout les fonctions très actives, et qui dépendent d’un substrat physiologique abondant et que renouvelle rapidement la nutrition. Le sens visuel et l’ouïe sont rarement réduits à emprunter au fonds commun : aussi quelle variété de plaisirs ne devons-nous pas à ces privilégiés ? Quant aux viscères chez qui toute perturbation est si grave, ils côtoient toujours la douleur : nous ne prenons guère conscience distincte d’eux que par la souffrance ; ils sont les prolétaires infatigables qui travaillent uniquement pour vivre et pour permettre à d’autres de jouir.

Encore une fois l’être le plus capable de plaisir est l’être qui dispose d’un surcroît de forces et d’activité : et ce surcroît même rend facile le renouvellement large et rapide des forces. Le plaisir engendre le plaisir. L’inactivité est un supplice pour l’enfant bien portant et pour l’adulte. Qu’est-ce que le jeu, sinon l’activité pour l’activité ? L’activité, sans autre but qu’elle-même, est une abondante